
Un Grenat digne de ce nom ne se foutra jamais de l’an 40 ! La saison 1939-1940 a en effet été exceptionnelle pour Servette, sacré champion sans perdre un seul match. Par ailleurs, le déclenchement de la Seconde guerre mondiale n’est pas resté sans influence sur le déroulement du championnat suisse malgré la neutralité helvétique. En juin 40, en pleine offensive hitlérienne en Europe de l’Ouest, Servette battait Lucerne et était d’ores et déjà champion alors qu’il restait encore quatre (!) journées à disputer.
Le match de ce jeudi se jouera bien sûr sous de tous autres auspices même si nous avions secrètement espéré que cette rencontre constituerait un match au sommet de la 9ème journée. Le réalisme des attaquants bâlois en a décidé autrement, mais nous ne résistons pas au plaisir de feuilleter avec vous cette grande page de l’Histoire de Servette.
Guerre et football
La saison 1938-1939 avait été chaotique : les Grenats avaient longtemps figuré aux dernières places avant de se rebiffer au printemps pour finir quatrièmes. Conséquence de cette saison ratée : Servette se débarrasse de ses étrangers hongrois : les attaquants Lukacs et Grosz. Pour les remplacer, le Yougoslave Stevovic arrive. Il impressionne le public lors d’un match amical contre Saint-Etienne en août (1:1). De façon générale, Servette réalise de bons matchs amicaux et on se demande si les Grenats, coutumiers de mauvais départs en championnat, seront cette fois-ci d’emblée à la hauteur.
Une première réponse doit tomber le 3 septembre pour la reprise du championnat contre YB. Patatras, le premier septembre, Hitler envahit la Pologne et donne le coup de grâce à la paix fragile qui régnait en Europe. Le Parc des Sports (stade des Charmilles), est réquisitionné, 8 joueurs sont envoyés sous les drapeaux. Le début du championnat est ajourné. L’AFSA (ancêtre de l’ASF) encourage ses clubs à disputer des matchs amicaux de bienfaisance dont le bénéfice doit servir à acheter des ballons pour que les mobilisés aient aussi des loisirs…
Le championnat de mobilisation
Finalement, pour la Suisse, les choses se tassent un peu, l’invasion allemande n’est pas encore pour demain, les autorités militaires donnent leur feu vert au démarrage du championnat, dit « championnat de mobilisation » et acceptent de libérer les soldats les jours de match. Depuis 1934, le système unifié de la Ligue Nationale A avait remplacé celui des poules régionales, mais dans le contexte particulier de 1939, on en revient à un système de deux groupes régionaux. Servette est dans le groupe romand avec Young Boys, Bienne, La Chaux-de-Fonds, Granges et Lausanne. Le premier match est agendé pour le 22 octobre. Dix jours avant, Servette perd son précieux homme-orchestre Belli qui, à l’âge de 23 ans, a déjà marqué 257 buts pour le SFC. Ce Français, bien qu’en instance de naturalisation suisse, est mobilisé Outre-Jura. Il doit quitter ses coéquipiers. Par la suite, il sera fait prisonnier par les Allemands et ne reviendra jouer pour les Grenats qu’en… septembre 1941 ! Les dirigeants ont heureusement les moyens de le remplacer au pied levé par l’ex-international Willy von Känel en provenance de Bienne.
Lors de la première journée, les Grenats disposent de Young Boys 6:3 aux Charmilles après avoir été menés 1:3, Le géant Stevovic (1 mètres 93) ne donne malheureusement pas satisfaction car il ralentit le jeu servettien, il doit quitter le club. Souhaitons que son alter ego Roderick soit plus heureux… Servette enchaîne encore avec quatre victoires jusqu’à Noël (y compris sur le terrain de Granges, deuxième l’année précédente) et séduit par un jeu rapide et offensif dont Walaschek, Monnard, Trello et Georges Aeby sont les fers de lance. Pour Noël, Servette offre à son public un match amical contre Lugano, une grosse pointure du football suisse de ces années-là. 4000 personnes assistent ravies à un festival offensif (victoire 5:7 des Tessinois).
Un mauvais début pour le cinquantenaire
L’année 1940, celle du cinquantenaire du club, commence bien mal pour les Grenats : le 7 janvier, devant 4 000 personnes, ils sont sortis de la Coupe par leurs rivaux locaux d’UGS (1ère Ligue) sur une pelouse enneigée qui ne leur permet pas de développer leur jeu court et technique. Sur de longues balles en avant, UGS marque deux fois et s’impose 2:1. Au même moment, il est décidé de refondre en un seul groupe les 12 équipes des deux groupes régionaux. Les points gagnés restent acquis et Servette va donc disputer le second tour face à ces cinq concurrents du groupe romand puis affronter en matchs aller-retour les six équipes du groupe alémanique. Il retrouvera donc sur sa route son grand rival national Grasshoppers et surtout Lugano qui est à deux encablures au classement. Le championnat reprend de l’intérêt, le club émet des abonnements à demi-tarif pour les 9 matchs à venir.
Intenables en championnat !
Toujours en verve, les Servettiens pulvérisent Young Boys et Bienne en janvier puis, malgré la fatigue du difficile voyage, vont battre La-Chaux-de-Fonds de façon un peu chanceuse en profitant d’un arbitrage médiocre. Le 18 février, les Grenats égarent leur premier point contre Granges, en concédant un nul 0:0 aux Charmilles. L’éblouissant portier grangeois Ballabio, – la panthère noire- , qui venait de faire ses débuts en équipe nationale, a tout sorti ce jour-là, profitant trois fois de l’aide de ses poteaux et parfois de celle d’une flaque… Servette finit son programme romand en allant gifler Lausanne 4:0 chez lui. Avant d’affronter les Alémaniques et Lugano, Servette compte sept longueurs d’avance sur ses poursuivants Nordstern et Lugano. Au printemps, les Grenats disposent de Saint-Gall, Nordstern et Young Fellows mais égarent un point second point à Lucerne.
Le championnat interrompu, Servette d’exploits en exploits
Suite à l’offensive nazie vers l’Ouest (invasion du Benelux et de la France) le 10 mai, la Suisse est à nouveau en état d’alerte. La mobilisation générale est déclarée et le championnat est interrompu. Il ne reprendra que le 9 juin. Pour la reprise, Servette a la lourde tâche d’aller affronter son dauphin luganais au Tessin. Les Genevois l’emportent magnifiquement 3:2 puis signent dans la foulée un succès de prestige 1:0 sur les Grasshoppers. L’attaquant Walascheck reçoit la mission de tenir en bride la vedette zurichoise Bickel ce qu’il fait à merveille, annhihilant toutes les entreprises des visiteurs et provoquant la colère du Zurichois.
La semaine suivante, Servette passe quatre buts à Saint-Gall et nous voilà à notre fameux 30 juin où les Lucernois repartent de Genève avec quatre buts dans leurs bagages et où Servette empoche le titre pour fêter dignement son cinquantenaire. Pour faire bonne mesure, Servette étrille encore Lugano 7:0, on est déjà en juillet, il est temps que le championnat se termine : on agende les deux avant-dernières journées le même week-end : le samedi Servette va gagner à Bâle contre Nordstern et le dimanche il bat Young Fellows aux Charmilles. Ultime joie, c’est sur le terrain de GC que Servette reçoit le trophée de champion suite à un nul le 22 juillet.
Un extraordinaire bilan
Avec un excellent gardien (l’acrobatique Feutz) secondé par une paire défensive solide constituée de l’international Lörtscher et du brillant néophyte Philippe Fuchs (14 buts encaissés, meilleure défense), un entre-jeu plein de dynamisme (Buchoux, Sauvain, Guinchard, Oswald) et une attaque flamboyante (64 goals marqués, meilleure attaque grâce à Aeby – roi des buteurs avec 22 buts-, Trello, Monnard et Walaschek), Servette a tout balayé sur son passage, ne concédant que trois points. Le second, Granges, accuse 13 longueurs de retard. Servette obtient ainsi son neuvième titre et n’en a plus qu’un de retard sur les Sauterelles. L’entraîneur-joueur Trello Abegglen conclut : « Le championnat 1940, c’est le passé, seul l’avenir compte ! » L’avenir, c’est déjà un peu la future vedette Lucien Pasteur qui a disputé ses 5 premiers matchs cette saison-là…
Vous en voulez encore ?
http://www.super-servette.ch a consacré une petite biographie à cinq héros de cette année-là : Roger Feutz, Georges Aeby, Albert Guinchard, Ernest Lörtscher et Eugène Walaschek dans sa rubrique « légendes ». Ce site a aussi reconstitué les résultats complets de cette saison-là dans la rubrique équipes/résultats (accès direct en cliquant su le lien suivant : Resultats_Servette_1939-40).
Vous aurez encore une petite gâterie à mettre dans votre musette pour le voyage de Lausanne dimanche !

Germinal Walaschek
merci et félicitations pour ce très beau travail
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Je t’en prie. Ce fut un plaisir !
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super article, très intéressant! merci!!
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Respect pour ce travail! Merci:-)
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