
Ces dernières années, le FC Thoune joue à merveille son rôle de petit Poucet du football suisse, de tous les clubs de Super League, c’est celui qui affiche le moins d’années dans l’élite du football suisse à son compteur. Au vingtième siècle, il n’a été donné qu’une seule fois aux Grenats de voir de tout près les Alpes bernoises : un dimanche de novembre 1954 lors d’une brève incursion thounoise en LNA.
L’inauguration du Lachen
Le hasard avait bien fait les choses : pile poil pour la montée du FC Thoune en LNA (les Oberlandais remplaçaient avec Lugano leurs rivaux cantonaux du FC Berne et du FC Bienne), le nouveau stade du Lachen, ou plus exactement son vestiaire et sa tribune, avaient été inauguré en août 1954. Le projet datait pourtant du milieu des années 1920… En 1949, l’Exposition cantonale bernoise est organisée au Lachen. La remise en état des lieux de l’exposition est l’occasion pour la municipalité, qui avait déjà déboursé 250 000 francs pour la consolidation des rives, de voter un crédit de 435 165 francs pour la première étape de l’édification d’un complexe sportif. Le résultat est superbe mais un vestiaire digne de ce nom (on utilisait les vieux bâtiments de l’Expo bernoise) et une tribune dignes de ce nom font encore défaut. Les cordons de la bourse municipale ne peuvent plus être desserrés. Habitants et associations sportives fondent alors une coopérative pour lever les 250 000 francs nécessaires. Ils y parviennent, entre autres grâce à l’aide de la société du Sport-Toto. En mai, les travaux débutent et à peine plus de 3 mois plus tard (parfois ça va vite !) le vestiaire et la tribune (1 000 places, capacité totale : 25 000 personnes) sont livrés. Sis dans son décor de carte postale, le Lachen est prêt, en remplacement du Grabengut, pour accueillir les équipes de LNA…

Une première saison sans Fatton
Irrésistible dans l’immédiat après-guerre, Servette rentre dans le rang au début des années 1950. La saison 1954-1955 s’annonçe un peu difficile pour Servette qui avait perdu durant l’été quelques uns de ses joueurs-clé (Grobéty, Mauron, Zahnd) et surtout Jacky Fatton parti à Lyon. Seul renfort de l’été : l’ex-international Hans-Peter Friedländer en provenance de Lausanne. Avant la rencontre du 21 novembre 1954 dans le cadre de la dixième journée du championnat de LNA, deux points seulement séparent les néo-promus bernois (9èmes avec 9 points en 9 matchs) et Servette (quatrième). La LNA comptait alors 14 équipes. Servette restait sur une pénible victoire (2:1) sur l’avant-dernier Lucerne à la maison et Thoune sur une lourde défaite (0:3) face à Zurich au Lachen.
Le match du 21 novembre 1954
Les Servettiens sont privés de leur meneur de jeu Gilbert Dutoit mais ils développent cependant un jeu alerte et chatoyant. A la 30ème minute, les Grenats ouvrent le score suite à un coup-franc (Epp). Friedländer distribue d’excellents ballons et sur l’une de ses passes Chatelain double la mise (55ème) avant que l’insaisissable Friedländer ne sale encore l’addition (75ème). Thoune a aussi contribué au spectacle et aurait mérité de sauver l’honneur mais il s’est heurté à un mur en la personne du gardien genevois Eugène Parlier, égal à lui-même cet après-midi de novembre…
Le match du jour opposait cet après-midi-là Lausanne Sports et La Chaux-de-Fonds (les temps changent) à la Pontaise. Score final 4:4 (les temps changent vraiment) devant 22000 personnes (ce n’est plus le même monde…). Les Montagnards restaient ainsi leaders, ils décrocheront d’ailleurs le titre en fin de saison.
Ce jour-là, Servette alignait l’équipe suivante :
Parlier – Neury, Gyger – Mezzena, Kunz, Kaelin – Châtelain, Friedländer, Epp, Pasteur, Duret.
Coup d’oeil sur les buteurs
Efficace à Thoune, la ligne d’attaque servetienne a néanmoins son passé derrière elle. Hans-Peter (ou Jean-Pierre !) Friedländer vient d’avoir 34 ans. Né à Berlin, il avait été naturalisé suisse en 1940. Il termine meilleur buteur du championnat en 1946 avec GC puis avec Lausanne en 1951. Souvent considéré comme le meilleur footballeur suisse de son temps, il avait même réussi à s’imposer à GC malgré un certain antisémitisme ambiant. On raconte que ses dribbles étaient irrésistibles et que ses adversaires n’avaient souvent d’autres ressources que la manière forte pour le séparer du ballon d’où de nombreuses fractures. Elément en vue de la Nati pour laquelle il a marqué 12 buts, il avait été à deux doigts de crucifier le Brésil dans les ultimes minutes lors du brillant match nul des Helvètes contre les organisateurs du Mondial 1950 (2:2), mais il ne joue plus pour la Nati depuis 1952. Le public des Charmilles se montre souvent intransigeant à l’égard de celui qu’on a surnommé « l’artiste » dans la vie de tous les jours.
Ayant aussi accumulé 34 printemps, corpulent, l’Autrichien Josef Epp, arrivé la saison précédente à l’instigation de Karl Rappan, peine à convaincre à Genève. Il est souvent lent à réagir. Après une brève controverse liée à la non-déclaration de son appartenance au parti national-socialiste, il avait fait les beaux jours du Wiener SC (195 buts en championnat !) et été aligné 8 fois en équipe d’Autriche, mais c’était lors de la décennie précédente…
Quant à Châtelain, il n’est autre qu’un des deux fils de l’entraîneur grenat Albert Châtelain portant le maillot servettien.

Concurrence du hockey
Alors que les footballeurs grenat croisent le fer sur les rives du lac de Thoune, leurs homologues du club de hockey affrontent UGS à l’occasion de l’inauguration de la première glace artificielle couverte au Pavillon des Sports, projet provisoire en attendant la réalisation du projet des Vernets (victoire des Violets 3:2). Les patineurs grenat n’auront plus besoin de jouer « à domicile » dans le canton de Vaud et attirent bien des spectateurs, d’autant plus que les résultats des footballeurs se dégradent avec, entre autres, une élimination en Coupe face à la lanterne rouge Fribourg aux Charmilles. Au printemps, Thoune permet à Servette, qui reste sur deux nuls et trois défaites, de se remettre en selle en se faisant étriller 6:1 aux Charmilles. Guère reconnaissants, les Genevois concéderont une défaite à domicile contre Granges lors de l’ultime journée. Ce résultat permet à Granges de rester de justesse devant Thoune et d’infliger aux Oberlandais près de 50 ans de purgatoire loin de la LNA. UGS remplace Thoune. Petite consolation : Thoune parvient en finale de la Coupe de Suisse mais s’incline contre La Chaux-de-Fonds.
Naissance de la Coupe d’Europe
On l’aura compris, le sixième rang de Servette à l’issue de cette saison-là ne restera pas dans les annales sportives. En coulisse toutefois, ses dirigeants, dont le président Clément Piazzalunga, s’activent. Au printemps 1955, ils rencontrent à Paris le président madrilène Santiago Bernabeu pour jeter les bases de la Coupe d’Europe des champions sous l’égide du journal l’Équipe. La participation se fait sur la base d’invitations et Servette grille ainsi la politesse au champion chaux-de-fonnier. Le tirage au sort lui attribue le redoutable Real Madrid, mais cela, c’est déjà une toute autre histoire…
Prochaine chronique : « Les Biennois sont de bons Bernois », une analyse de 1927
Dernière chronique : Un des plus vieux fan’s club de Suisse encore existant : les 25 ans du Servette Fanclub Deutschschweiz-86
Jacky Pasteur et Germinal Walascheck
très bon article, même si la plupart d’entre nous se rappelent pas de ces années la c’est bien de savoir que le foot existait déjà et surtout que notre servette en faisait partie
J’aimeJ’aime
et surtout qu’ils étaient deja brillants.
a cette epoque xamax n’existait pas et sion jouait en 2eme ligue (4e division)
J’aimeJ’aime
Oui, la présence ininterrompue de Servette au plus haut niveau pendant plus de 100 ans est une belle chose. Même si le temps passe, on retrouve des constantes : le goùt du beau jeu, des politiques de grandeur pas toujours bien gérées..
On voit aussi que certains problèmes se reposent à intervalles réguliers : le Lachen et les Vernets datent des années 50 et maintenant Thoune a un nouveau stade et Genève aura en principe bientôt une nouvelle patinoire.
La Chaux-de-Fonds est le troisième club romand le plus titré derrière le SFC et le LS, dommage que ce club vénérable soit tombé si bas…
J’aimeJ’aime
Après l’épisode Parlier- Ballabio, je vais vraiment passer pour le maître d’école vieux jeu. Je tiens toutefois à rectifier que ce n’est pas contre Bâle que Thoune a perdu la finale de la coupe 1955 mais contre la Chaux-de-Fonds (1 : 3) qui réalisera ainsi le doublé coupe-championnat comme la saison précédente.
J’aimeJ’aime
Vous avez 100 % raison. Je me réjouis de chaque correction et amélioration et aussi d’avoir des lecteurs attentifs !
Le reste est bien juste ?
J’aimeJ’aime
Je l’espère, je ne sais quand même pas tout !! Puisqu’il était question d’évoquer des souvenirs, je peux préciser qu’avant d’évoluer au stade du Lachen, le F.C. Thoune jouait sur un emplacement nommé Grabengut qui se trouve presque au centre-ville et sur lequel on a ensuite érigé la patinoire artificielle. Les tribunes du stade ont longtemps servi comme tribunes pour la patinoire qui, depuis, a été couverte. Je ne sais pas comment sont les lieux aujourd’hui, cela fait plus de 40 ans que je n’y suis pas retourné !
Il est a noter que cette victoire du Servette par 3 à 0 dont il est question plus haut est la seule obtenue à Thoune en championnat.
J’aimeJ’aime
Merci pour les précisions!
J’aimeJ’aime
Voici la composition de la seule équipe servetienne à avoir gagné un match de championnat à Thoune (ligue A et ligue B confondues)
Parlier – Neury, Gyger – Mezzena, Kunz, Kaelin – Châtelain, Friedländer, Epp, Pasteur, Duret. **
Il est évident qu’il faut être âgé de 70 ans minimum pour que ces noms évoquent quelque chose ce qui, je l’imagine bien, n’est pas le cas de la majorité des lecteurs de ce site !!!
Lors de la saison1966/67, Servette a éliminé Thoune (1 : 0) de la coupe en 16èmes de finale. Il semblerait que ce match a été joué à Thoune.
** Source : Programme du match Thoune – Servette (1 : 0) du 3 novembre 2002. C’est la première fois que Servette disputait un match de championnat depuis le 21 novembre 1954.
J’aimeJ’aime
Merci, nous n’avions que les buteurs et un court resume du match !
J’aimeJ’aime
Vérification faite, le match de coupe de 1966/1967 a effectivement eu lieu à Thoune (le 5 novembre) mais Servette s’est imposé 1:2 après prolongations. Le but victorieux a été obtenu à la 120ème minute sur un autogoal du défenseur Thounois Teuscher “d’un incroyable tir en arrière”, sportif, Nemeth était venu le consoler…
Au tour suivant, Servette avait perdu à Lugano.
Seule équipe de LNA éliminée ce week-end-là… Moutier !
J’aimeJ’aime
Et l’article d’ajouter que le trésorier grenat ne s’est pas réjoui de ce coup de théâtre. En cas d’égalité, Servette aurait accueilli Thoune en match d’appui. N’est-ce pas ?
J’aimeJ’aime
Dernière phrase incomplète : C’est la première fois que Servette disputait un match de championnat depuis le 21 novembre 1954 A THOUNE.
J’aimeJ’aime
Eh ben, soit tu as une superbe mémoire, soit tu as fait un gros travail de recherche. À moins que cela ne soit les deux!?!?
J’aimeJ’aime
C’est un peu les deux. J’ai assez bonne mémoire en ce qui concerne notre club favori et j’ai pas mal de documentation (livres, programmes etc). Le 1 à 0 que j’ai mentionné, à tort, semble-t-il est indiqué dans un livre en allemand intitulé « Schweizer Cup » et qui mentionne tous les résultats en coupe depuis le début en 1925/26 jusqu’en l’an 2000. Mais j’y ai déjà découvert l’une ou l’autre erreur dont celle-ci-donc. A bientôt.
J’aimeJ’aime