Si footballeurs et hockeyeurs servettiens évoluent désormais dans des sphères distinctes voire, d’un certain point de vue, concurrentielles, ils sont néanmoins issus de la même matrice : un club omnisports regroupant des disciplines collectives variées. Il arrivait même que porteurs de patins et de crampons se croisent sur la glace des Vernets…
Premier février 1962. Servette qui caracole en tête de la LNA (quatre points d’avance sur le LS) passe son hiver à faire parler la poudre : le dernier match de championnat s’est soldé par un succès 11:2 (!) contre Granges, en Coupe Romande, les Grenats viennent d’étriller Martigny 0:7 et en Coupe de Suisse, c’est Baden qui a fait les frais de la fureur offensive servettienne (7:1, mais après prolongations !). A 37 ans, Jacky Fatton enfile toujours les buts comme les perles, on murmure qu’il ira encore au Chili pour la Coupe du Monde… Au niveau du hockey, Servette, en LNB groupe ouest, pointe au second rang, malheureusement clairement distancé par Villars. Le club lance ses jeunes dans l’optique de la saison à venir. Pour meubler une semaine de pause et juste avant de partir en Italie (et d’affronter la squadra azzura à la grande fureur de Karl Rappan, sélectionneur national, n’acceptant pas qu’une formation suisse fasse office de sparring partner au futur adversaire transalpin des confédérés au Chili !), les footballeurs servettiens affrontent le temps d’une soirée leurs homologues hockeyeurs dans le cadre d’une partie en trois-temps bien originale.

Premier mouvement : Servette FC – Servette HC 1:0
Patins au pied, canne à la main, puck au bout de la crosse mais sans casque, les footballeurs servettiens prennent le dessus sur leurs compères hockeyeurs. Quelques libertés sont prises avec l’interprétation des règles, ce qui explique cet inattendu succès des footeux. A noter toutefois que les experts du ballon rond pouvaient compter dans leurs rangs le gardien René Schneider qui avait commencé sa carrière sportive chez les hockeyeurs morgiens. On peut constater sa maîtrise consommée de ce sport de glace sur la photo ci-dessus. Sa doublure dans la cage des Grenats, Jacky Barlie, s’affaire en arrière-plan alors que Giulio Robbiani, attaquant au football, se charge cette fois-ci de garder les bois de son équipe !

Second mouvement : Servette FC – Servette HC 2:0
Un spectacle sportif tout à fait incongru est donné à voir au public des Vernets pour cette deuxième manche : les deux équipes se font face équipées de balais de curling et un impressionnant ballon en caoutchouc fait l’objet de toutes les convoitises. A l’image de Pierre-Maurice Georgy, qui déborde un hockeyeur au sol sous le regard amusé de Lev Mantula, ce sont à nouveau les spécialistes du gazon qui triomphent sur la glace et portent leur avantage à deux unités !
Troisième mouvement : Servette FC – Servette HC 2:1
Si l’on excepte le revêtement glacé, cette dernière manche est quasiment du football. Jacky Barlie s’y illustre à nouveau en entreprenant de contourner l’agile hockeyeur Naef, mais rien n’y fait : les patineurs marquent le point de l’honneur à rebours de toute logique…

Un grand bravo aux footballeurs qui non contents de survoler le championnat de football viennent encore damner le pion à leurs amis hockeyeurs. Mention spéciale pour le bonnet de Peter Pazmandy, tout à droite.
A 10 heures à Saint-Pierre
On peut supposer que bien des joueurs qui se sont égayés le soir du 1er février 1962 sur la glace des Vernets avaient passé un matinée de deuil et de recueillement en souvenir du médecin du Servette FC, Stanley Walter, lui-même sportif accompli (champion suisse de skiff). Il avait pris part à l’expédition du Nil bleu, organisé par le canoë-club de Genève dans un but à la fois scientifique et sportif et qui consistait à remonter le majestueux fleuve africain. En Ethiopie, des bandits avaient pris le groupe pour cible, en laissant deux membres sur le carreau et dérobant tout son matériel. Cette affaire tient la presse en haleine, on pense un instant que le groupe a tenté le diable en emportant 200 montres à distribuer dans la nature, le canoë-club dément, on soupçonne les survivants d’avoir abandonné leurs camarades blessés, finalement tout est infirmé, les autorités éthiopiennes retrouvent les bandits, les exécutent en public peu après, mais on ne parvient pas à mettre la main sur les corps des défunts…
Il faudra se séparer
Alors que les Servettiens s’amusent entre eux, un autre club poursuit son bonhomme de chemin : le Genève H.C., section hockey d’UGS depuis 10 ans, monte en LNB. La saison suivante, le Servette HC échoue sur le fil pour la promotion en LNA (contre GC !). Un constat s’impose : entretenir deux bonnes équipes de hockey à Genève, cela fait beaucoup et ne rime à rien. Il faut s’unir ! Pour le Servette FC, c’est un crève-coeur, mais la direction s’y résout, moyennant le maintien du nom (et implicitement du grenat). En mai 1963, le Genève-Servette Hockey Club est porté sur les fonds baptismaux.
Le fruit d’une longue impatience
Depuis 1954, Genève possédait une patinoire artificielle et les hockeyeurs n’étaient plus forcés de jouer dans un autre canton lorsque la météo était trop clémente. L’ambition est de rivaliser avec les meilleurs, on imagine même de faire venir des Québécois en pagaille. Les formations genevoises ne se hissent toutefois pas au-dessus de la LNB malgré un joli succès du Servette HC en Coupe de Suisse (1959). La fusion du printemps 1963 est la conséquence de cette attente frustrante, en espérant des jours meilleurs… qui arriveront 9 mois plus tard avec l’ascension en LNA !
Au fait, les footballeurs du Servette FC étaient-ils présents parmi les 2 500 spectateurs lors de l’inauguration de la patinoire du Pavillon des Sports le 21.11.1954 (victoire d’UGS 3:2 contre Servette) ? On n’en sait rien ! Mais les plus fidèles lecteurs de cette chronique se souviendront peut-être qu’ils jouaient le lendemain à Thoune et l’emportaient brillamment 0:3. On en souhaite autant à leurs lointains successeurs pour ce week-end !
Bien des coeurs grenats sont assez grands pour accueillir deux équipes, si cette chronique pouvait donner des idées aux deux bouts de la route des Jeunes, on s’en réjouit d’avance ! Plus prosaïquement, un Servette irriguant davantage le tissu sportif genevois et irrigué par lui se porterait sans doute mieux aujourd’hui.
Jacky Pasteur et Germinal Walascheck
Prochaine chronique : Servette et Lucerne s’échangent leur monstre des surfaces de réparation
Dernière chronique : quand Servette allait au tribunal, le cas Perroud
Autre chronique consacrée à un match contre Thoune : 1954 : le petit tour de Thoune en LNA, fringante victoire de Servette dans un Lachen flambant neuf
3 réflexions sur « Les joueurs du Servette FC ont-ils assisté à l’inauguration de la première patinoire de Genève ? »