
Il est toujours un peu malséant d’accueillir un nouveau venu en le baratinant sur son père mais avouez franchement qu’en disant “Servette, c’est noble, Servette, c’est la classe” Loïc Favre nous a titillé un peu car qui mieux que son père a incarné cette noblesse servetienne une décennie durant ? Petit morceau du doux supplice des “fils de…” pour notre nouveau directeur sportif !
La classe et la noblesse donc : été 1981, Lucien Favre pose ses cliques et ses claques aux Charmilles. Une vision du jeu millimétrée, des artifices techniques étincellants, des coup-francs brossés diaboliques allant immanquablement se loger dans la lucarne à tel point que votre humble serviteur, culottes courtes et morve au nez, pensait que c’est de là que venait le surnom “Lulu”… C’est un Servette des temps bénis qui envoyait valdinguer en virevoltant de gros calibres rösti et faisait chavirer les Charmilles. A Genève, seuls les clubs zurichoises étaient en mesure de nous faire quelques misères (même s’il faut bien y ajouter quelques traîtrises xamaxiennes et sédunoises…)
Qui dit noblesse, dit aussi roture et déchéance qui guette à tout instant. Là, Lucien Favre a également été servi : lorsqu’au mitan des années 80, le Veveysan Gabet Chapuisat lui bourrine le genou, sa carrière est à deux doigts du k.-o. définitif. Lorsque plusieurs mois plus tard, à force de courage, il a retrouvé le chemin du stade, la populace rhodanienne lui fait sa fête au Wankdorf un lundi de Pentecôte. Le seul tort du prince Lulu : être pétri de talent, servettien, bien payé et ne pas avoir sa langue dans la poche. Rédhibitoire dans l’étriqué football suisse des années 80.
Ceux qui ont grandi en écoutant Elsa, Vanessa Paradis ou Daniel Balavoine (rangez les sourires narquois, il y a un temps pour tout) voyait alors le football se résumer à un seul numéro : le 10, celui de Zico, Maradona ou Platini. En ces temps-là, la vedette du football suisse était Heinz Hermann (qui symptomatiquement portait plus souvent qu’à son tour le 8). Sans dénier l’immense talent du blond Zurichois, ses longues chevauchées, son abnégation, sa personnalité solaire et agréable, était-il fatal que ce soit lui qui, du haut de ses 118 sélections, aient tant marqué de son empreinte le football helvétique ?
En guerre avec le Blick et ses manigances, n’hésitant pas à critiquer les conceptions tactiques de Paul Wolfisberg, qui, si elles avaient autrefois fait merveille à Morgarten ou à Sempach, s’avéraient moins efficaces au Nepstadion, au Heysel ou à Wembley, Lucien Favre endossera bien vite le costume d’une diva capricieuse. Conseillé par un agent aux dents longues en un temps où le professionnalisme était encore à moitié une maladie honteuse dans le football suisse, parti un an à l’étranger pour améliorer sa technique à une époque où cela se faisait guère, Lucien Favre ne rentrait pas dans le moule du bon petit soldat à croix blanche toujours prêt à aller imprimer la marque de ses crampons dans les mollets de l’adversaire.
Dans la seconde moitié de la décennie, Servette tombe peu à peu en déchéance, c’est l’aristocrate désargenté qu’a connu Loïc Favre et qui se faisait gifler (1:5) aux Charmilles par Aarau. Sur les décombres du lustre passé, un joueur au corps brisé, fuyant les contacts comme Marie-Antoinette la vue des haillons, va guerroyer du côté de Schaffhouse ou Coire pour maintenir le SFC dans l’élite. C’est Lucien Favre. Noblesse oblige.
Noble, mais pas guindé ou imbu de lui-même : les crampons raccrochés, il a le panache de bâtir sa carrière d’entraineur en s’intéressant à d’autres domaines et en partant de tout en bas ou presque pour gravir les échelons un à un : il se coltine d’abord des gars du Gros-de-Vaud puis du Nord Vaudois avec un immense succès. Il est le chef d’orchestre du dernier grand Servette que la Terre ait porté : celui qui empêchera que pour la première fois de l’Histoire du club une décennie ne s’éteigne sans titre. Viré pour des considérations n’ayant rien à voir avec le sport (trop puissant ? trop cher ? trop grande gueule ? trop intelligent ?), il ne s’arrêtera pas en si bon chemin.
Lorsque des équipes de télévision vont à sa rencontre Outre-Rhin, on ne peut qu’être frappé par la fièvre qui émane toujours du personnage, il paraît à chaque instant trempé dans un robuste de bain de passion du football. Mais on ne peut pas oublier non plus que c’est un entraineur qui a un discours et qui sait où il va.
Si un rameau de la maison Favre vient à nouveau hanter la maison grenat, nul doute que d’autres neurones de ceux qui dans leur tête ont encore de l’espace pour un grand Servette (futur) seront agréablement titillées…
Germinal Walaschek
C est tellement bien écrit que mon commentaire insipide et ces quelques mots entachent la beauté profonde que revêt ton texte mon cher Germinal.
Bravo pour ce magnifique texte.
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Content de te retrouver ! Tout va bien ?
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POST TENEBRAS LULU…
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Merci pour ce morceau de bravoure si bienvenu pour redonner du coeur au ventre à tous les supporters démotivés, usés par le quarteron de fossoyeurs qu’ils ont subis et endurés depuis de trop nombreuses années. Merci, merci, merci! Puisse l’esprit du grand Servette, tel un noble phénix, renaître des cendres de cette épuisante et interminable lamentabilité qui colle à la peau du club, pour la plus grande joie des médiocres, comme une éternelle malédiction…!
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Rien a rajouter, chapeau bas pour cet article, vive EDS . Et pis LULU était mon joueur préfère, mes frangins , joueurs du LS a l époque , étaient amis avec lui
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Oulala. Jolis texte et tellement juste pour certains qui comme moi, ont découvert le foot, Servette avec lulu et l’aziza dans le Walkman 0)))
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Waouh, je suis tenté par un commentaire similaire à RAMS un peu plus haut.
Mais je voudrais dire aussi que ces dernières semaines il y a quelques lueurs d’espoirs qui sont apparues. L’arrivée du fils Favre en est une notoire, évidemment. Et qui sait, d’ici deux ou trois saisons, Servette jouera peut-être un grand rôle en Super League et de nouveaux grands talents viendront se perdre à Genève… Post tenebras Lux !
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Belle plume, vraiment. Merci pour cet article.
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Bien voire très écrit. Mais un peu simpliste, je trouve que ça ressemble plus à du Jacques Ducret avec quelques considérations partisanes en plus. Si Lulu trouvait la réputation de Heinz Hermann surfaite, ce n’est pas en ’81, mais plutôt dix ans plus tard que ça se passe.
D’ailleurs Lulu disait la même chose de Sébastien Fournier, ne l’oublions pas, il y a une dizaine d’années.
Le fait que Pik s’entende mieux avec Lolo qu’avec Lulu n’a rien d’étonnant. Le fils n’est pas le père et il s’en faut de beaucoup. Par ailleurs, ce sont tous deux des professionnels. Même si « Lolo » Favre est un très jeune professionnel.
Un dernier mot sur ces mythiques années ’80. C’était aussi ceux de la formule à 16 qui a coulé les clubs suisses en Coupe d’Europe (Servette n’a pas fait exception), à part le Xamax de Facchinetti qui avait tellement de fric qu’il pouvait s’offrir un pilier en provenance de Real Madrid (Uli Stielike) et ce sont pas les qualifications pour les quarts de finale de la Coupe des Coupes du FC Sion (en ’87) et des Young Boys (’88) qui ont illuminé le tableau; à l’époque, il suffisait d’éliminer deux équipes pour passer l’hiver.
Rétrospectivement, c’était de la science-fiction!
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