Sous le maillot grenat à croix blanche (8)

SFC asf

Les temps changent… Lors du précédent voyage au Brésil de l’équipe de Suisse pour y disputer une Coupe du Monde, trois Servettiens y avaient joué un rôle majeur… Suite de notre promenade à travers l’Histoire de la Nati avec un fort tropisme grenat et genevois…

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, une question taraude les journalistes sportifs en Suisse : nos joueurs, qui ont traversé le conflit mondial dans un relatif confort en comparaison du déluge qui s’était abattu sur la plupart des nations européennes, auront-ils le caractère et la volonté de vaincre nécessaires pour obtenir de bons résultats internationaux ? Mais au-delà des soucis purement sportifs, les implications politiques de chaque rencontre sont les plus prégnantes : difficile de disputer une partie internationale sans qu’une connotation diplomatique lui soit donnée. Le comportement de chaque pays durant la guerre est jaugé avec méfiance… A ce petit jeu, la Suisse jouera une double partition : faire oublier ses compromissions avec le Troisième Reich et lancer sa politique des bons offices.

Un « yes » anglais bienvenu

Une rencontre contre la France à Lausanne, marquée par la joie de la paix retrouvée avait donné le coup d’envoi au football d’après-guerre en présence du général Guisan (cf. sous le maillot grenat à croix blanche 7). Autre pays neutre, le Portugal est battu à Bâle (1:0) en mai 1945. Les choses se compliquent en juillet : l’ASFA souhaite inviter l’Angleterre pour fêter ses 50 ans. A ce moment-là, les Américains guerroient encore dans le Pacifique, la Suisse est sous la menace de sanctions US tant ses marchands d’armes et autres banquiers n’ont pas chômé durant la guerre. En Angleterre aussi l’image de la Suisse est considérablement écornée… Le « yes » britannique à une rencontre inofficielle au Wankdorf vaut donc son pesant d’or pour la Suisse. Grands seigneurs, les Anglais pousseront le fair-play jusqu’à s’incliner 3:1 devant 45’000 spectateurs ravis dont une belle brochette de notables politiques…

La Nati remet la squadra azzura en odeur de sainteté

En novembre, c’est à l’inverse la Suisse qui permet à son adversaire de remettre le pied à l’étrier en accueillant l’Italie à Zurich. La FIFA envisageait alors une suspension internationale des Azzuris en raison du rôle de l’Italie fasciste dans le second conflit mondial. Le changement d’alliance opportun des Transalpins et l’invitation suisse dissipent la perspective d’une sanction : l’Italie dispute son premier match d’après-guerre sur la pelouse du Hardturm. Malgré cette réintégration internationale et le beau match nul (4:4) qui avait enchanté les 25’000 spectateurs, le coach italien fera la fine bouche au banquet d’après-match : fâché par les mets exclusivement végétariens, Vittorio Pozzo commanda derechef un bifteck. Il faudra lui expliquer que la Suisse vivait toujours sous le régime du rationnement alimentaire strict ! Deux semaines plus tard à Genève, les Suédois se montreront plus dociles : battus 3:0 devant 25’000 personnes aux Charmilles, ils regagneront Stockholm tous équipés d’une montre offerte par l’ASFA à l’hôtel des Bergues ainsi que d’une pendule neuchâteloise pour leur fédération sans sourciller !

Un nouveau venu promis à un bel avenir

L’équipe de Suisse hiberne alors jusqu’en mai 1946 où elle a le redoutable honneur d’être invitée par l’Angleterre. Alors que les Anglais ne disputaient que des matchs internationaux contre leurs alliés de guerre, ils font une nouvelle exception pour la Suisse ! Un cinglant 4:1 ponctue la prestation suisse à Stamford Bridge, défaite que ne peut éviter le prometteur Jacky Fatton, qui fête sa première sélection pour la Suisse et qui sera sacré champion avec Servette quelques semaines plus tard ! Quant aux supporters suisses, ils sont contraints par la réglementation draconienne sur les visas britanniques de rester à la maison, même les journalistes ont des difficultés pour se voir autoriser l’entrée en Grande-Bretagne… L’un d’eux suivra néanmoins la Nati jusqu’à Glasgow (défaite 3 :1) et écrira que les 111’000 Ecossais présents à l’Hampden Park hurlaient si fort qu’on les entendait… jusqu’à Edimbourg !

 Le tourbillon servettien pour l’attaque de la Nati

La rencontre suivante, disputée à Solna contre la Suède n’est guère plus paisible : la Nati est atomisée 7:2. Dans le but suisse, l’infortuné servettien Ruesch voit les buts tomber comme des fruits mûrs, le coach suisse Karl Rappan ne le lui pardonnera pas et prendra bien soin de se débarrasser ce fantasque portier lorsqu’il prendra en main Servette deux ans plus tard (cf. notre chronique Locarno décoiffé).

Ruesch 1946
Un des nombreux buts encaissés par Ruesch, fatal pour sa carrière de portier de la Nati !

En novembre 1946, la Suisse reprend sa politique des bons offices en invitant son voisin autrichien, jusqu’alors principalement réduit à un mano a mano de pestiférés avec la Hongrie. C’est l’occasion pour Karl Rappan de faire appel au tourbillon servettien pour animer son attaque : aux côtés de Jacky Fatton figurent désormais Jean Tamini et Lulu Pasteur qui étrennent le maillot rouge à croix blanche. Un but de Pasteur à deux minutes du terme assure un court succès suisse (1:0). Pour Pasteur, cette sélection restera pourtant longtemps sans lendemain, son génie créatif ayant du mal à s’accommoder avec les consignes de jeu dispensées en équipe nationale. Dans la foulée, une sélection tyrolienne est balayée 6:1 par la Suisse B. Les Tyroliens apparaissent si amaigris qu’on les charge de colis alimentaires pour leur retour ! Une initiative qui s’inscrit dans l’esprit d’une époque où 100 000 enfants autrichiens « affamés de guerre » avaient été accueillis provisoirement par des familles suisses.

 Dura lex sed lex…

En 1947, la Suisse répond aux invitations des nations qu’elle a précédemment invitées : le match nul 2:2 obtenu à Lisbonne permet à Fatton d’ouvrir son compteur international. En marquant également à Florence, il n’évitera pas une défaite face à l’Italie (5:2). Il marque à nouveau au match suivant, permettant un succès d’estime 1:0 contre l’Angleterre, décidément fidèle au rendez-vous helvétique, lors d’un match disputé à guichets fermés et pour lequel les billets se vendent jusqu’à 50 francs au marché noir. A l’occasion de ce match, un autre Servettien d’origine hexagonale est sélectionné pour la première fois : André Belli qui évolue au milieu de terrain à droite alors qu’en club cet ancien attaquant s’est reconverti en défense. Fatton ouvre ensuite le score contre la France à Lausanne mais les Tricolores finissent par passer l’épaule (1:2). Sa carrière internationale est sur de bons rails : le Stade Français, Paris, Sochaux, Gênes et l’AC Milan font les yeux doux à l’ailier servettien de poche. Jacky restera néanmoins grenat : durant la guerre, la Suisse s’était dotée de la loi Zumbühl bannissant le professionnalisme pour les sportifs suisses. Un départ rémunéré à l’étranger signifierait pour Fatton une suspension de deux ans et l’impossibilité de participer à la Coupe du Monde 1950… De même, Jean Tamini devra quelque peu patienter avant de prendre le chemin de Saint-Etienne…

Né français, prisonnier de guerre durant la seconde Guerre mondiale, Belli obtient finalement un passeport suisse.
Né français, prisonnier de guerre durant la seconde Guerre mondiale, Belli obtient finalement un passeport suisse.

Une qualification facile

Le temps passant, la guerre s’étant éloignée, les compétitions internationales retrouvent droit de cité. Dès 1948, la Suisse participe à la cinquième édition de la Coupe du docteur Gerö (Coupe Internationale) en compagnie de la Hongrie, de l’Italie, de la Tchécoslovaquie et de l’Autriche. Face à ces ténors du football européen, la Suisse est surclassée. Elle se rattrape en match amical contre la Belgique à Genève : les régionaux de l’étape, Fatton et Tamini marque deux buts d’emblée pour ouvrir la voie à un succès 4:0.

Quatrième but pour la Suisse et le stade des Charmilles plein comme un oeuf !
Quatrième but pour la Suisse et le stade des Charmilles plein comme un oeuf !

Cette même Belgique se retrouve en principe sur la route de la Nati pour une qualification en vue de la Coupe du Monde au Brésil. Cette confrontation est toutefois transformée en matchs amicaux : les clubs belges appréhendent les dépenses liées à un déplacement transatlantique… Dans ces conditions, deux succès contre le modeste Luxembourg durant l’été 1949 (5:2 à Zurich, deux buts de Fatton puis 3:2 à Luxembourg, but de Fatton) suffisent à la Suisse pour décrocher son billet pour le Brésil !

Le Brésil en vaut-il la chandelle ?

Au début de la saison qui précède la Coupe du Monde, Karl Rappan renonce à son poste d’entraineur de l’équipe national pour se concentrer sur Servette. Les Grenats font très fort en s’adjugeant avec panache un nouveau titre national, l’ancien Lausannois Olivier Eggiman est à la manoeuvre et le trio magique de 1946, Tamini – Fatton – Pasteur, virevolte toujours en attaque. La Nati compte peu ou prou sur les mêmes éléments même si les apparitions de Pasteur sous le maillot rouge à croix blanche restent fugaces. Un triumvirat a pris en main l’équipe nationale, les résultats sont médiocres, les essais nombreux. En juin 1950, deux semaines avant le tournoi mondial, la Suisse trébuche à Berne contre la Yougoslavie (0:4) futur adversaire de la Suisse au Brésil. On s’interroge : vaut-il bien la peine d’aller au Brésil ? D’autres nations (France..) ont renoncé… Une équipe très majoritairement composée de joueurs évoluant en Romandie (dont les Servettien Eggiman, Fatton et Tamini) ou au Tessin monte néanmoins dans l’avion pour le premier voyage intercontinental de la Nati…

En route pour le Brésil !
En route pour le Brésil !

 

Germinal Walaschek et Jacky Pasteur

 

Les autres chroniques « sous le maillot grenat à croix blanche » :

https://enfantsduservette.ch/2011/10/10/sous-le-maillot-grenat-a-croix-blanche-1/#more-21003

https://enfantsduservette.ch/2011/11/12/sous-le-maillot-grenat-a-croix-blanche-2/

https://enfantsduservette.ch/2012/09/06/sous-le-maillot-grenat-a-croix-blanche-3/

sous le maillot grenat à croix blanche (4)

https://enfantsduservette.ch/2013/03/21/sous-le-maillot-grenat-a-croix-blanche-5/

https://enfantsduservette.ch/2013/06/07/sous-le-maillot-grenat-a-croix-blanche-6/

https://enfantsduservette.ch/2013/09/05/sous-le-maillot-grenat-a-croix-blanche-7/

 

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Couverture et quatrieme de couv

16 réflexions sur « Sous le maillot grenat à croix blanche (8) »

  1. Effectivement, très intéressante rétrospective !

    Hors sujet : Sous la rubrique Coming Up en début de site, Matches de préparation, il est mentionné mercredi 25 juin 19 h. Sion – Servette à St-Sulpice. C’était le cas l’année dernière. Je crois savoir que ce match a lieu à Lens VS.

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    1. En fait c’était à l’origine prévu à St-Sulpice, mais il semblerait que le mat ait été déplacé à Lens…

      Mais comme le club ne communique pas, difficile d’être plus précis 😉

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  2. Super interéssant comme d’hab,une question y aura t’il une
    suite?..Pendant la coupe 50 au Brésil 50 la Suisse fit un
    remarquable 2 a 2 contre le Brésil.L’égalisation brésilienne
    fut très trouble,le centre qui amena le but avait dépassé
    la ligne de fond de plusieurs centimètres.Au montage de la
    Télé brésilienne les images du centre avait mystérieusement
    disparue.Alors Germinal une suite?

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      1. Merci,c’est toujours un plaisir de lire tes chroniques dans la très grande morosité
        actuelle.

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  3. S’il n’y a que peu de communication sur les éventuels transferts, il faut reconnaître que le programme des matchs amicaux avance. Et avec de belles équipes : Sion (…), GC et maintenant l’ETG. C’est assez bon signe de voir qu’on se prépare contre de bonnes équipes, plutôt que contre Perly, Naters ou Bümpliz-Süd (avec tout le respect qu’on leur doit).

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  4. Ah…ca bouge sur le site off, ils nous proposent les abo pour (roullement de tembour)…..2013/2014!!!! yeahhhh!!! aah mais non c’est la saison qui vient de se terminer…

    Ils ont quand même enlever le petit encadré du match contre Wohlen pour mettre la reprise du championnat.

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  5. J’apprécie beaucoup le foot à l’ancienne, merci Germinal.
    C’est sympa de parler des « vieilles gloires » du SFC.

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  6. Pardon, merci aussi à Jacky Pasteur.
    HS mais d’actualité, l’Espagne est en train de se prendre une fessée monumentale par la Hollande.

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