Petit Papin mais gros pépin !

SFC-Lugano

Un point bêtement perdu contre le Lugano d’un certain Michel Pont ouvre la porte au pire sportivement et dans les coulisses, de grandes manoeuvres se préparent !

Un entraîneur de dimension internationale

A défaut de s’être qualifiés pour la Coupe d’Europe à l’issue de la terne saison 1995-1996, les Grenats s’offrent un puissant bol d’air continental avec la venue à leur tête de l’entraineur yougoslave Vujadin Boskov : quarante ans de bourlingue footballistique avec de prestigieuses haltes à Rotterdam, Madrid ou à Naples, des titres de champions dans trois championnats et pas des moindres, un trophée européen avec la Sampdoria sans oublier 57 capes internationales de joueur avec la Yougoslavie, des surnoms à la pelle : il gitano, zio Vuja, le gentleman, etc. Et surtout une arrivée dans le très feutré championnat helvétique qui surprend même si c’est à Young Fellows Zurich, plus de 30 ans auparavant, que Vujadin avait pour la première dirigé une équipe. Affable, le bonhomme explique que sa fille et ses trois petits-enfants habitent Genthod puis lâche le rituel « le projet du président m’a séduit. » Il est vrai que Paul-Annick Weiller est prêt à mettre la main à la poche pour assurer une stature européenne au SFC. Dans la foulée de l’engagement de Boskov, on évoque par exemple l’arrivée de Jean-Pierre Papin, mais la star française du Bayern Munich s’avérera trop onéreuse ce qui contraint le président Weiller à se rabattre sur le « petit Papin » : Cyrille Pouget troque la casaque grenat frappée de la croix de Lorraine pour celle siglée Umbro, le nouvel équipementier servettien. A 23 ans, le blondinet quitte un FC Metz pourtant en pleine période faste et son compère tonton flingueur Pirès pour la Suisse. Dans la foulée de l’arrêt Bosman, il se joint à la cohorte d’une trentaine de Tricolores qui délaissent la D1 pour divers championnats européens. Genève, un tremplin pour sa carrière d’attaquant véloce déjà jalonnée de trois capes en équipe de France ? Les exemples de Sony Anderson ou celui tout récent d’Oliver Neuville l’ont peut-être inspiré, c’est d’ailleurs le piccolino qu’il devra faire oublier à la pointe de l’attaque grenat…

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Rebâtir un effectif…

Intronisé dès le mois de mai, Boskov a eu le temps de jauger son effectif : le Tchèque Nemecek, aligné lors de l’Euro anglais traîne les savates pour rester servettien même si finalement il rempilera, Eric Pédat est prié de reprendre le poste laissé vacant par Pascolo parti à Cagliari, Fernandez en défense centrale est une valeur sûre, Pouget, Sesa et Sogbie devraient composer une attaque complémentaire. Il manque néanmoins un libéro et un vrai numéro 10.

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revue d’effectif sous l’oeil de ses assistants Barlie et Castella

En équilibre précaire au-dessus de la barre fatidique de la huitième place début septembre, Servette engage le prometteur défenseur international togolais Salou. Incapable de gagner pendant un mois et demi, le SFC glisse alors sous la barre. Traditionnellement adepte d’un football offensif, Boskov laisse alors tomber son système de jeu en 3-5-2 pour remettre sa défense à plat dans un 4-4-2 plus traditionnel qui permet d’importantes victoires contre Bâle aux Charmilles puis à Lucerne. Un échange standard avec le FC Sion permet de récupérer Alexandre Rey tout en se débarrassant d’un Biaggi bien limité. Servette ne parvient pas à capitaliser sur ses victoires : il piétine face à Saint-Gall (1:1) puis Sion (0:0) lors d’un match où la rivalité avec les Valaisans prend une tournure hideuse avec la blessure du provocateur gardien Lehmann visé par des jets de piles.

Une vieille connaissance

Pour le compte de l’avant-dernière journée du tour préliminaire, Servette se rend à Lugano. Au Tessin, les Servettiens retrouvent une frimousse connue : Michel Pont. Assistant du Yougoslave Petkovic lors du titre grenat en 1994, il est désormais maitre à bord d’un navire luganais passablement malmené. Né une semaine avant le quart de finale de Coupe du Monde qui verra Boskov et ses compatriotes s’incliner contre l’Allemagne à Genève, Michel Pont connaitra un curieux parcours : au mitan des années 90, le Servette FC apparaît comme une trop grosse pointure pour celui qui n’a finalement entraîné que Perly, Grand-Lancy, Chênois ou Etoile Carouge. Il tente donc sa chance au Tessin, l’expérience fait long feu mais il y rencontre Köbi Kuhn. « Fais-moi signe lorsque tu dirigeras la Nati ! » lui lance-t-il. Boutade ou pas, le Zurichois n’oubliera pas de faire appel à Michel Pont lorsqu’il sera nommé sélectionneur national. Durant plus de dix ans, la silhouette ébourifée de Michel Pont arpentera ainsi les arènes internationales du monde entier. Paradoxalement, ce personnage chaleureux et communicatif, qui se serait volontiers donné en spectacle comme star de rock ou de cinéma, accomplit le gros de son oeuvre comme assistant loyal dans l’ombre de Köbi Kuhn puis d’Ottmar Hitzfeld. Il a ainsi apporté son écot significatif à une des périodes les plus fastes de la Nati mais s’est probablement fermé la porte à une grande carrière d’entraîneur, si tant est qu’il en ait souhaité une. Aujourd’hui, même si on peut en toute bonne conscience supposer que le coeur du bon Michel fibrille toujours en grenat, c’est lui qui apparait bien une pointure trop grande pour le SFC. Nul doute que dans l’ombre (décidément !) il a su distiller de bons conseils à la maison servettienne, en particulier lors de la quasi-faillite du printemps 2012, mais ceux qui l’ont vu comme un deus ex machina prêt à bondir de la cuisse du président Quennec pour sauter sur le banc servettien en sont pour l’instant pour leurs frais et cette hypothèse complotiste se résume pour l’instant à une tempête dans une belle tasse de thé des EdS ! (cf. https://enfantsduservette.ch/2014/03/01/42087/).

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Servette bascule du mauvais côté de la barre

Revenons à nos moutons de 1996 : les bianconeri de Michel Pont sont déjà condamnés au tour de relégation, de même que Young Boys. Servette a un point d’avance sur Lucerne et, à un but près, une meilleure différence de but que le FC Bâle, les Grenats logent donc un soupçon au-dessus de la barre fatidique. Au Cornaredo, la rencontre prend vite une torunure de match que l’on ne peut décemment pas perdre : Lugano, a priori démobilisé, est de surcroît privé de 8 (!) titulaires et après une demi-heure de jeu, son gardien Romagna est expulsé pour faute de dernier recours. Sur le pénalty qui en découle, Pouget permet au SFC d’ouvrir la marque. Les Grenats ont alors une totale emprise sur le jeu mais se font surprendre en toute fin de partie par un pénalty bien généreux qui permet aux Luganais d’accrocher un point inespéré. Bâle et Lucerne ayant aussi fait match nul, la dernière ronde sera décisive…

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Pizzinat au sol à Lugano et le SFC plus très loin d’être terrassé…

Jouer toute sa saison sur un seul match est toujours un exercice périlleux : face à Aarau aux Charmilles, les Grenats flanchent à la demi-heure de jeu en encaissant deux buts coup sur coup. Un pénalty de Pouget peu avant la mi-temps redonne un brin d’espoir mais le score ne bougera plus malgré une scène litigieuse où un pénalty pour les Grenat n’aurait pas semblé usurpé. Bâle de son côté obtient le nul contre Zurich (0:0) et passe du bon côté de la barre…

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Boskov catastrophé. Cruelle désillusion pour les Grenats.

Un avenir compromis

Si les Grenats peuvent légitimement invoquer des décisions arbitrales sujettes à caution lors des matchs décisifs, les prestations globalement faiblardes de l’équipe sont avant tout à mettre sur le compte d’un recrutement qui n’avait pas su repourvoir les bons postes, en particulier au milieu de terrain où Nemecek avait eu tendance à évoluer comme une âme en peine mais aussi en attaque où, à l’exception de Pouget (9 buts), les autres canoniers étaient restés discrets. Une semaine plus tard après cet échec mortifiant, Boskov est censé se rendre au tessin pour un séminaire de formation continue des entraineurs des clubs de Ligue Nationale. Le vieux gentleman n’y va pas par quatre chemins et sèche la séance, estimant qu’il s’agit «d’une insolence » de la convier à un tel séminaire en tant que participant et non-enseignant… Personne ne remettra en cause son expérience et son palmarès mais a-t-il su faire passer son discours ? Lui, qui, fataliste, déclarait un jour : « Les entraîneurs sont comme les jupes : une année, ce sont les mini-jupes qui sont à la mode, et l’année d’après, tu les ranges au placard » sent-il déjà le vent tourner ? En coulisses, les choses se décantent peu à peu : pour des raisons de santé, le président Weiller a déjà annoncé sa démission quelques mois au paravant. Un repreneur se manifestera-t-il ? En janvier, fin de l’angoisse : on apprend que c’est Canal+ qui a repris la maison grenat. Parmi les premières conséquences figurent le départ de Pouget au PSG, dont Canal + est également propriétaire et le retour de Guy Matthez.

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Le directeur général du SFC Patrick Trotignon (au centre) intronise Guy Matthez (à droite), mine lugubre de Vujadin Boskov…

Le football n’est pas forcément la plus logique des choses : saqué au lendemain d’un titre national, le Jurassien retrouve 12 ans après le banc grenat et en chasse le monument Vujadin Boskov, officiellement muté à la détection des jeunes talents mais qui, probablement giflé dans son amour propre, prendra bien vite la poudre d’escampette. Trois mois plus tard, alors que le SFC bataillait vaillamment à Soleure et Schaffhouse, Boskov faisait sa rentrée internationale… en coachant la Yougoslavie ! Avec un bon tour final (premier) et un parcours en Coupe bêtement achevé à Schaffhouse mais néanmoins émaillé de probants succès contre Xamax et Bâle, Servette renaissait peu à peu en attendant mieux…

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek

 

Autre chronique concernant Lugano :

Le tour pendable de l’ange blond

Qui n’a pas encore son grand livre de l’Histoire grenat ?

Couverture et quatrieme de couv

7 réflexions sur « Petit Papin mais gros pépin ! »

  1. Avant Boskov on avait contacter le célèbre Guy Roux,
    Roux qui était en course pour le doublé avec Auxerre
    avait différer sa réponse,alors le club s’était rabattu sur
    Boskov.A l’époque dans France- Football Roux déclarait
    que le club lui avait proposé une somme d’argent qui lui
    avait fait tourné la tête et qu’il avait été a deux doigts de
    quitter son Auxerre.Dommage Guy Roux en grenat cela
    aurait eu de la gueule.

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    1. Oui, cela renforce deux éléments que mon texte essaie de présenter : d’une part Servette avait les moyens (apparemment, quelques années plus tôt, Boskov avait déjà été contacté par le SFC mais les transactions avaient échoué faute d’argent, le Servette de Weiller avait déjà d’autres moyens) et d’autre part, un exode des footballeurs francais (et à un degré quand même bien moindre des entraineurs) se dessinait, c’était historiquement nouveau, bien sûr, il y avait eu quelques stars qui étaient parties à l’étranger auparavant (platini, Ginola,…) mais au milieu des années 90 la saignée devenait généralisée et concernait aussi des joueurs de second plan dont Pouget est un bon exemple. Dans le contexte du transfert de Pouget, il y avait eu des articles s’inquiétant d’une perte d’attractivité du championnat de France avec le risque d’une baisse du nombre de spectateurs et au-delà la crainte que la France fasse pâle figure lors de « son » Mondial de 1998… comme quoi…

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