La baston inspira l’étudiant Tibert Pont

SFC chiasso

Au début de l’automne 2006, Servette se relève peu à peu de la faillite : néo-promus en Challenge League, les Grenats se rendent à Chiasso, une grosse pointure de la catégorie, avec guère d’autre objectif que de grappiller un petit quelque chose sur le chemin du maintien. Les Tessinois l’emportent sans coup férir (4:0). Un match a priori pas destiné à figurer dans les annales universitaires et pourtant…

Au Stadio Communale, Servette résiste vaillament une mi-temps, puis, en seconde mi-temps, les Chiassessi, coachés par l’ancien international italien Attilio Lombardo, poussent davantage, le Brésilien Gelson trouve la faille, puis signe un doublé. Kalu et Douglas complètent l’addition, les tentatives d’Esteban sur le front de l’attaque grenat demeurent vaines. Fringant et percutant, Chiasso devra néanmoins s’effacer face à Bellinzone et Xamax dans la course à la promotion qui sourira finalement aux Neuchâtelois. Quant aux Servettiens, habitués à gagner à La Praille et à perdre à l’extérieur, ils s’installeront douilletement dans le ventre mou du classement.

Graves incidents

Ce soir-là, comme le relève l’entraineur servettien Jean-Michel Aeby, la défaite passe au second plan et toute la rencontre se déroule dans un climat étrange. Bien avant le coup d’envoi en effet, plusieurs dizaines de supporters servettiens, apparemment invités à venir en découdre, se dirigent vers leurs homologues chiassesi pour une affligeante bataille rangée. Joueurs, staffs et service d’ordre assistent impuissants aux violents incidents qui se soldent par l’hospitalisation d’un jeune Tessinois. Le président servettien Francisco Vinas confie dans la foulée : «Je suis effondré, c’est inimaginable. Je suis écœuré, j’ai sincèrement envie de tout lâcher» tout en précisant bien la responsabilité des supporters servettiens. La presse s’empare naturellement de l’événement, accréditant la thèse d’une violence préméditée par des hooligans, gonflant les affrontements en « drame » et « terreur ». Dans la perspective de l’Euro que la Suisse s’est promis d’organiser deux ans plus tard, le spectre de la violence et la mise en place d’un arsenal sécuritaire sont des sujets porteurs. Deux mois plus tard, de légères sanctions de la SFL tombent contre les deux clubs. Epilogue ?

Des idées pour Tibert Pont

L’équipe servetienne d’alors est essentiellement constituée de semi-professionnels, contraints d’exercer une autre activité en-dehors du football. En son sein figure Tibert Pont, inscrit à la faculté de sociologie de l’université de Genève depuis que la faillite orchestrée par Marc Roger a forcé ce junior, auteur d’apparitions prometteuses en Super League, à remettre sa gomme dans sa trousse, sa trousse dans son cartable et son cartable sur son dos pour aller user ses cuissettes grenat dans des séminaires sur Anthony Giddens. Présent lors du funeste samedi 9 septembre 2006 à Chiasso, Tibert Pont, « ébahi », puise dans la rixe l’idée d’un thème tout fait pour son mémoire de bachelor : Les ultras : des partenaires dans la lutte contre la violence des stades ? Une analyse exploratoire du groupe ultra du Servette FC. Quasiment deux ans jour pour jour après les châtaignes du Stadio Communale, Tibert Pont est convoqué pour la soutenance de son mémoire et décroche son diplôme, entretemps, il est devenu capitaine du Servette FC, le club navigue toujours à vue en Challenge League, Majid Pishyar attend en embuscade…

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Tibert Pont lors de la saison 2006-2007

Un mémoire original

Si en général ce sont les fans qui sont avides de recueillir les confidences des joueurs, la démarche de Tibert va à rebours : il invite dans les locaux de l’Université de Genève huit supporters servettiens, quatre appartenant au noyau dur de la Section Grenat et quatre autre « indépendants » qui gravitent autour de la mouvance des ultras grenats pour un dialogue à bâtons rompus visant à illustrer la partie théorique du mémoire. Dans son mémoire, après un retour sur l’événement déclencheur à Chiasso, Tibert Pont pose un distinguo entre d’un côté les « ultras », qui suivent le club partout et dont les activités sont centrées sur l’animation durant le match et de l’autre les « hooligans », dont le but principal est la recherche de la pagaille, tout en concédant que la frontière peut parfois être mouvante, en particulier sur la question de la violence. Le mémoire rappelle que dans la foulée des événements tragiques du Heysel et de Sheffield, pour différentes raisons, la violence, sans forcément diminuer, s’est éloignée des stades pour se développer à leur marge, ce qui a rendu les incidents de Chiasso d’autant plus choquants même si leur intensité violente était plus faible que d’autres bagarres entre supporters ayant eu lieu plus loin des enceintes sportives.

memoire Tibert Pont

Pourquoi des ultras ?

La suite du mémoire propose d’appréhender le phénomène ultra sur la base trois composantes déterminant l’horizon individuel de chacun : le monde personnel (le soi), le monde social (les communautarisations) et la réalité contextuelle (le monde objectif). Au niveau du monde personnel, Tibert Pont développe l’hypothèse selon laquelle, dans des sociétés toujours plus individualistes, l’appartenance à un groupe ultra joue très souvent un rôle d’affirmation identitaire poussé avec la posibilité d’acquérir une reconnaissance particulière à l’intérieur du groupe ultra. Au niveau du monde social, Tibert Pont relève que les ultras des différents clubs ont su, depuis leur émergence, adopter différentes stratégies permettant d’attirer l’attention sur eux dans le monde du football, pour le meilleur et pour le pire : spectacularisation des tribunes, incidents divers, alliances et rivalités entre des groupes distincts, etc. Cette montée en puissance des ultras pose ensuite la question de leur inscription au sein du club dans la configuration des acteurs. Si les relations avec les joueurs restent le plus souvent sommaires, celles avec la direction du club s’avèrent souvent plus problématiques. La direction d’un club est placée face à la nécessité de composer avec la frange ultra qui garantit l’ambiance dans le stade mais écorne à l’occasion l’image du club par des excès hautement médiatisés. Quant aux ultras, le plus souvent critiques face au modèle commercial du football qui transforme les joueurs en mercenaires et met les clubs à la merci de dirigeants-girouette, ils estiment incarner la continuité du club. Les relations avec les tribunes que n’occupent pas les ultras peuvent également être des points de tensions dans cette galaxie d’acteurs.

Des extraits d’entretiens avec des ultras servettiens viennent illustrer les grandes lignes des analyses ébauchées ci-dessus, l’auteur s’attarde donc d’abord sur le vécu individuel, les origines de la passion pour le Servette FC et la socialisation (avec des degrés d’implications divers) à travers la « famille » des ultras. Viennent ensuite les stratégies de valorisation de l’activité du groupe avec au passage l’aveu d’un ultra « il y a des fois où je ne vois pas le match », l’animation et d’autres activités passant au premier plan. La critique du « foot business » et les relations épineuses avec le club permettent de clore l’entretien.

Si Tibert Pont reprend un jour le chemin des amphis et consacre une thèse au sujet des ultras, gageons qu’il aura du grain à moudre avec certains développements apparus depuis 2008. En Suisse en général et à Genève en particulier les interdictions de stade sont un motif récurrent de fronde des ultras et tant la légimité juridique que l’efficacité de ce dispositif répressif demeure douteuse. A l’étranger, le rôle des ultras a souvent été éminent lors de mobilisations de masse impliquant des confrontations avec les forces de police (révolution égyptienne, défense du parc Gizi à Istanbul). Chiche  ?

Tibert Pont a eu l’extrême gentillesse d’accéder à notre demande de mettre en ligne l’intégralité de son mémoire de Bachelor sur le site historique www.super-servette.ch. Que cette chronique soit l’occasion de le remercier encore une fois. Le texte est disponible en cliquant sur le lien :

http://www.super-servette.ch/Doku/2008_pont.pdf

Autre chronique concernant le FC Chiasso :

Chiasso laminé : Servette européen !

16 réflexions sur « La baston inspira l’étudiant Tibert Pont »

  1. Très bel article Germinal, encore une fois ! J’avais déjà eu l’occasion de l’exprimer, Tibert Pont n’est pas seulement un joueur professionnel exemplaire, c’est aussi quelqu’un d’intelligent. Et c’est très bien d’avoir un capitaine comme ça !
    Allez Tibert Pont, allez Servette !

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      1. Si c’est le cas il y a les gardiens des M-21, pas d’inquiétude au niveau de se retrouver « sans gardien ». Il s’agit de Osmani Mergim (1995) et Gendre Lucas (1996).

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      2. J’attend la source, mais si c’est vrai ça fait vraiment ch*er.

        Pour l’équipe qui se retrouve sans gardien et qu’il faut bien finir ce tour.

        Et pour Barocca qui encore une fois avait une chance de se montrer et se blesse à nouveau.

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  2. « Scénario rock and burlesque » Zubi se fait viré dans 2 mois et il embarque Muller avec lui » sortie de but volontaire?
    Ok je sors …..

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  3. HS: selon la TdG, Dominguez interesserait le FCZ… Un échange possible avec Rossini?
    …et un buteur international estonien de 24 ans (32 buts en 33 matchs en 2014), mais dans un championnat qui enregistre souvent des scores fleuve, est dans le colimateur du SFC!

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    1. PS: mais si l’un ou l’autre arrive chez nous, il faudrait quand même un Dominguez pour lui faire la dernière passe décisive, alors…

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    2. Je crois que Dominguez doit rester. Il ne faut pas retomber dans les biais du passé en vendant les bons espoirs avant même qu’ils n’aient apporté (voire démontré) quelque chose, quitte à rester un an de plus en CL.

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