Un peu d’histoire : Mais que s’est-il exactement passé sur la pelouse de La Rondinella le 7 octobre

Servette a senti passer le vent du boulet il y a dix jours contre Guin en étant mené jusqu’à un quart d’heure de la fin et en ne se qualifiant que suite aux prolongations. Depuis maintenant 30 ans, à chaque match de Coupe où Servette balbutie son football face à une formation supposée inférieure, un nom mythique aux consonances transalpines résonne dans les mémoires : La Rondinella !

Mais que s’est-il exactement passé lors de fameux match ? Voici notre reconstitution.

La date

Le 7 octobre 1978, un samedi ensoleillé, à partir de 15 heures 30. Le week-end des seizièmes de finale de la Coupe de Suisse s’étalait sur deux jours, mais la Nati jouant un match des éliminatoires pour l’EURO 80 le mercredi suivant contre la Hollande, les clubs possédant des internationaux (et nous allons voir que Servette en possédait une belle kyrielle !) étaient tenus de jouer le samedi déjà pour favoriser la récupération.

Le lieu

Le stade de Saint-Joux, dans la commune de La Neuveville, commune francophone du Jura bernois sur les bords immédiats du lac de Bienne. Pour en augmenter la capacité, les chars et les charrettes des environs avaient été réquisitionnées. La rencontre contre le SFC avait été inscrite dans le cadre des festivités de la fête des vendanges locales. Au menu : saucisses, glaces, frites pour éponger les dettes des tours de Coupe précédents.

Les témoins

Entre 2000 et 4000 personnes ont assisté à cette rencontre, précisons que la présence de l’enfant du pays seelandais Joko Pfister dans les rangs servettiens a notablement contribué à l’affluence record de ce jour-là. Le rôle du public sera décisif sur un point, nous le verrons par la suite et pas seulement lorsqu’il a entravé l’élan de Didi Andrey
pour ses corners.

Le supporter grenat au premier plan porte des Adidas Rom, qui n’en a jamais porté est pour toujours un fashion looser !

Les acteurs

En bleu : La Rondinella. Cette équipe, en tête du championnat de troisième ligue, a débuté son aventure de Coupe en juillet déjà et a sorti Azzuri Bienne (3ème Ligue), Boujean 34 (3ème Ligue), Marin (1ère Ligue), Aurore Bienne (1ère Ligue) et Bagnes (2ème Ligue). Ce club existe depuis 1960, ses fondateurs sont des travailleurs saisonniers
italiens qui ont choisi le nom de Rondinella (en italien : alouette) pour illustrer leur destin de travailleurs migrants, forcés de s’en aller pour revenir à la belle saison. En 1978, l’équipe accueille des joueurs de différentes nationalités, et malgré son ancrage romand, aussi des Alémaniques en ces temps troublés de la « question jurassienne ». Parmi eux,
l’entraîneur Freddy Paratte, fier d’avoir insufflé à ses troupes un peu de rigueur et de condition physique d’Outre-Sarine mais qui promet avant le match : « pas de coups de pied ! ».

L’équipe de La Rondinella 1978/1979

En blanc (maillot Admiral, deux rayures grenat sur les bas) : Servette. Détenteur du trophée. Leader de LNA. Qualifié pour le second tour de la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe. Parmi les onze titulaires, à l’exception de l’attaquant Peterhans, tous ont été, sont, ou seront internationaux. Bizzini, Schnyder et Barberis, pour ne citer qu’eux sont en pleine carrière avec la Nati, le gardien Engel y a fait ses débuts un mois avant.

En noir : monsieur Guignet d’Yverdon, son rôle sera déterminant. Il est mort récemment, paix à son âme.

Le match

Servette poussote le ballon, domine sans trop forcer, estimant que cela finira bien par rentrer. A la 23ème minute, Elia trouve enfin le chemin des filets mais son but est justement annulé. A la 37ème minute, il y a peut-être vaguement pénalty pour les Grenats mais l’arbitre ne bronche pas sauf pour avertir Andrey qui réclame. A la pause, le
score est toujours nul et vierge. Peter Pazmandy sermonne ses troupes, puis introduit Weber pour donner du poids à l’attaque servettienne. Rien n’y fait : Wenger, qui avait brièvement été le gardien du FC Bâle, garde sa cage inviolée. Il ne reste plus que quelques minutes dans le temps réglementaire. La Rondinella bénéficie d’un coup-franc
excentré à environ 35 mètres des buts genevois. Le gardien Engel s’avance jusqu’au point de pénalty pour anticiper un centre, le rusé Urs Wenger tire de biais et ouvre la marque. Il doit ensuite quitter le terrain, blessé par les spectateurs qui le congratulent.

L’instant crucial

Servette se rue à l’attaque, – que lui reste-t-il d’autre à faire ? – les joueurs de La Rondinella dégagent le ballon aussi loin qu’ils le peuvent, les spectateurs ne le rendent pas…il n’y en a pas d’autre…l’arbitre prolonge en conséquence la partie … 95ème (ou 97ème ?) minute de jeu… percée offensive de Weber… le juge de touche lève son drapeau… monsieur Guignet l’ignore… Magalhaes abat Weber dans les seize mètres… pénalty !.. Trinchero le tire… 1 :1.

Une légende commence …

La suite, réelle, est la suivante : Servette l’emporte 4:1 après prolongations (comme à Guin !), puis écarte encore Etoile Carouge, Nordstern, Xamax et Young Boys pour conserver le trophée Georges Sandoz. Ce ne sera pas le seul trophée des Grenats cette saison-là … Toutefois, le temps faisant son oeuvre, dans l’esprit de beaucoup, dont le mien, se sédimentera l’idée que Servette a été éliminé par le petit Poucet. Le match n’ayant pas été filmé, chacun peut par ailleurs donner sa version sur la longueur réelle du match et le pénalty salvateur pour Servette et tisser ainsi la légende. Preuve de l’importance de cette rencontre incongrue : l’été dernier, un panel de spécialistes réuni par le magazine alémanique Zwölf a classé cette rencontre au 69ème rang des 100 plus grands matchs du football suisse !

Un dernier litige

A l’issue du match, les joueurs servettiens se voient interdire d’échanger leurs maillots avec leurs adversaires car ils doivent impérativement être conservés. Les dirigeants du club en auraient promis d’autres ainsi que des billets pour la finale si Servette y accède aux valeureux footballeurs de La Rondinella mais rien n’arrivera jamais à La Neuveville. La Rondinella montera par la suite en 2ème Ligue puis se dissoudra en 1998 faute de relève junior. Les héros de 1978 sont toujours amis : leur site www.vecchios.org témoigne de la vitalité de leurs activités festives et de voyage. Par ailleurs, lors de la dernière fête du vin de La Neuveville, leur amicale s’occupait du jambon !

Avant d’aller affronter le « grand » Bâle, les Servettiens peuvent méditer sur la lapalissade qu’un match de football n’est jamais gagné (ou perdu !) d’avance…

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek