Quand Rhône-Alpes était une fête…

Force est de constater que depuis quelques années l’ambiance entre Genève et sa voisine rhône-alpine est malheureusement quelque peu plombée par la défiance. La venue de Saint-Étienne ce jeudi est l’occasion de rappeler à quel point la proximité avec la France voisine a souvent été l’occasion de fêtes et d’échanges sportifs fructueux. Morceaux choisis.

Un exutoire pour les rugbymen servettiens

Au début du 20ème siècle, le Servette FC est encore un club multisport où le rugby joue un rôle essentiel. Faute d’adversaire suisses, le quinze grenat se tourne vers Grenoble ou Lyon pour des parties qui suscitent beaucoup d’intérêt. Le dimanche, les Servettiens prennent le train direction France et s’il arrive parfois que le capitaine grenat le manque, comme en octobre 1904, cela n’empêchera pas ses coéquipiers de l’emporter brillamment contre le Sporting Club de Lyon. En ce temps-là, le Servette FC organisait aussi des courses à pied, les athlètes rhône-alpins y prenaient part, la presse s’en faisait l’écho de l’autre côté de la frontière (et parlait du Servette FC mais jamais du Servette de Genève s’il vous plaît !). Avec la fermeture de la frontière lors de la Guerre de 14-18, le rugby genevois s’étiole par manque d’adversaires et laissera la voie libre au football.

Quand l’AS Saint-Étienne sauvait un peu Servette de la panade…

Le club de football stéphanois est une émanation des grands magasins Casino apparu vers 1920. Il naît formellement en 1933 sous le nom d’Association Sportive de Saint-Étienne (ASSE) avec un statut professionnel mais s’inscrit trop tard pour participer au championnat de 1ère division. Il débute donc en seconde division mais cela n’empêche pas son fondateur Pierre Guichard de lancer une coûteuse campagne de recrutement. En Suisse, Servette, champion lors de la saison 1933-1934, doit dans le même temps déposer son bilan. Son ancien président Gabriel Bonnet, entretemps passé à la FIFA, se mobilise alors pour sauver le club. Parmi les mesures prises figure le transfert de l’Autrichien Ignaz Tax à l’ASSE. Ce joyau de l’attaque grenat, débarqué à Genève en 1931, rapporte 50 000 francs français à la trésorerie servettienne, un transfert jugé « sensationnel » par la presse de l’époque. Et tant pis pour le public des Charmilles que le virtuose Tax avait si souvent enchanté…

L’Autrichien Ignaz Tax

Le premier ASSE-Servette

La saison 1938-1939 est la première où Saint-Étienne évolue en D1. A l’été 1938, une figure marquante des Verts arrive : Jean Snella. En été 1939, Servette affronte pour la première fois l’ASSE en match amical : les Grenats obtiennent un joli nul 1:1 à Geoffroy-Guichard puis c’est « le club ami d’Outre-Jura » qui prend la route de Genève pour l’emporter 0:1. C’est l’occasion pour le public genevois de revoir Ignaz Tax qui évolue dans une équipe stéphanoise au jeu précis et rapide.

La grande fête de la fin de la guerre

Le 28 janvier 1945, pour marquer la reprise tant attendues des relations franco-suisses entravées par la Seconde guerre mondiale, un match de football est organisé à Genève. Il met aux prises une sélection romande où figurent deux Servettiens (le gardien Ruesch et Jacky Fatton) à une sélection du Lyonnais constituée entre autres de huit Stéphanois. Malgré le froid polaire et la neige de ce dimanche de janvier, 5 000 personnes se pressent au Parc des Sports. C’est l’heure des retrouvailles avec Ignaz Tax, emprisonné durant la Seconde guerre mondiale puis radié sous le régime de Vichy mais aussi avec le Montheysan Jean Tamini, servettien en 1943-1944 et reparti à Lyon. Par la suite, il continuera ses pérégrinations triangulaires entre Servette, Lyon et Saint-Étienne Au milieu de terrain, Jean Snella, le Stéphanois, lui aussi prisonnier durant la guerre, se doute-t-il qu’il élira plus tard domicile à Genève ? Les Romands, faisant preuve de plus de cohésion, l’emportent 4:1.

Une affiche alléchante pour le Jeûne Genevois

A l’occasion du Jeûne Genevois 1950, Servette offre à son public un match AS Saint-Étienne – First Vienna. L’ASSE, qui s’est installé dans l’élite du football français, nourrit de solides ambitions et a recruté à l’inter-saison l’attaquant servettien Tamini. Quant à Snella, il est maintenant l’entraîneur des Verts depuis 1950 en ayant pris la succession … d’Ignaz Tax ! Le First Vienna, club où Tax a fait ses classes, est alors le meilleur représentant du football technique et offensif de la capitale autrichienne et vient de triompher 2:4 d’une sélection de joueurs de Servette et de Lausanne-Sports. L’ASSE et First Vienna se quittent sur le score de 1 :1, en lever de rideau, Servette et Lausanne avaient également partagé l’enjeu 2:2.

Un épisode tout à fait singulier : Rachid Mekhloufi

En 1957, les Verts sont champions de France pour la première fois. Un des artisans en est le jeune espoir Rachid Mekhloufi qui, en tant que «Français d’Algérie», est ensuite sélectionné pour participer à la Coupe du Monde 1958 avec les Tricolores. Quelques jours avant la compétition, alors que la guerre bat son plein en Algérie, il fuit vers la Suisse avec d’autres joueurs compatriotes et contribue à la mise sur pied d’une sélection du FLN, vitrine sportive de l’Algérie appelée à devenir indépendante. Cette équipe parcourra le monde (communiste) pendant quelques années pour des matchs de gala puis se muera en équipe nationale d’Algérie à l’indépendance en 1962. A ce moment, les anciens professionnels algériens reviennent jouer en France mais doivent prendre leur mal en patience car ils ont été radiés par la FFF. C’est dans ce contexte d’attente de sa réintégration que Mekhloufi pose ses bagages à Genève à la fin de l’été 1962 où il retrouve Jean Snella qui vient de mener Servette à deux titres nationaux. Malheureusement, la greffe ne prend pas, Mekhloufi déçoit, son dossier clarifié par les autorités françaises, il reprend le chemin du Forez dès décembre. Il contribuera à la remontée des Verts en D1 et à la fin de la saison, c’est Jean Snella qui quitte à son tour Servette pour l’ASSE. 20 ans de domination sur le football français suivront.

Jean Snella et Rachid Mekhloufi sur la pelouse des Charmilles

Servette-ASSE pour inaugurer la nouvelle Fontenette

Le 1er juin 1966, pour inaugurer la nouvelle tribune de La Fontenette à Carouge ainsi que les rénovations qui avaient porté sa capacité à 10 000 places, Servette et l’ASSE (encore entraîné par Snella avant qu’il ne revienne… à Genève en 1969) se rencontrent à nouveau et se quittent dos à dos (2:2). Mais, avec la généralisation des matchs de Coupe d’Europe, ce genre de rencontres amicales internationales avait déjà un peu perdu de son sel…

Pas encore de match officiel !

D’autres matchs amicaux suivront mais Servette n’a jamais rencontré Saint-Étienne en match officiel. Il s’en est fallu de peu : lors de la saison 82-83, Servette a affronté les Bohemians de Prague qui venaient d’éliminer Saint-Étienne de la Coupe de l’UEFA. Ce sera la dernière apparition des Verts en Coupe d’Europe avant le scandale des caisses noires jusqu’à leur retour contre… Xamax (à la Praille au match retour) en 2005. Avant cela, quelques ex-Servettiens avaient pris le chemin de Saint-Étienne au cours des années 90 : Miklos Molnar, Christophe Ohrel et Alain Geiger.

10 titres de champion, six Coupes de France, une finale de Coupe d’Europe : bienvenue à la légende verte !

Dernière chronique : Mais que s’est-il exactement passé sur la pelouse de La Rondinella le 7 octobre 1978 ?

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek

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