J-4: “Les Biennois sont de bons Bernois” : une analyse de 1927

Loin de nous l’idée de vouloir lancer la moindre lamelle de rösti sur la trop fameuse barrière ou d’émettre un quelconque doute sur la sportivité et les qualités techniques du groupe dirigé par Philippe Perret mais force est de constater que le FC Bienne de la fin des années 1920 présentait un football balourd d’ours mal léchés. Et ce n’est pas le malheureux Charly Kellermüller, dont la carrière et la jambe droite ont été simultanément brisées sur la pelouse de la Gurzelen au premier tour de la Coupe qui nous contredira. Servette n’a pas tout perdu dans l’aventure : cette qualification acquise dans la douleur inaugurait un parcours vers sa première conquête de la Coupe de Suisse.

Une saison 1927-1928 placée sous le signe de la revanche

A partir de 1918, Servette est sans interruption champion romand et même quatre fois champion suisse. Cette belle série est interrompue par le FC Bienne à l’issue de la saison 1926-1927. Les Seelandais devancent alors Servette d’un petit point dans le groupe Ouest. Les Grenats, désireux de renouer avec leur suprématie, doivent entamer la nouvelle saison sans leur «vieille gloire» Otto Fehlmann, véritable pilier de la défense pendant de très longues années et qui, à 38 ans, a décidé de tirer sa révérence. Pour le remplacer, le club s’attache les services du Soleurois Jäggi III. Il sera suivi en octobre par son frère, l’attaquant international  Jäggi IV. Servette réalise un bon début de championnat et fait la course en tête avec Etoile Carouge.

Rappel pour ceux qui ne suivaient pas le foot à cette époque : dans les fratries footballistiques fécondes ou en cas d’analogie de nom, les joueurs étaient simplement numérotés, plus simple que le prénom !

Un renfort de poids : l'international Willy Jäggi (Jäggi IV)

2 octobre 1927, premier tour de la Coupe de Suisse

A l’automne 1927, la Coupe de Suisse entame sa troisième édition. Le tirage au sort avait été plutôt défavorable pour Servette contraint de se déplacer sur la pelouse d’un rival de série A : le FC Bienne. Il est probable que la Coupe de Suisse n’était pas encore parvenue à se faire réellement sa place dans le monde du football helvétique. Les journaux qui consacraient de vastes articles aux rencontres de championnat se sont contentés de publier les résultats des matchs de ce dimanche de Coupe : Servette l’a emporté 1:3 mais nous ignorons tout de la physionomie de la partie. Résultat piquant de ce premier tour :  Sion- Black Stars 0-9.

Rappel pour ceux qui se sont levés tard dans le siècle : la création de la Coupe de Suisse date de 1’été 1925, après l’abandon au fil des ans de différentes compétitions analogues.

La jambe brisée de Kellermüller

Un événement du match Bienne-Servette est toutefois relaté par la presse : la double fracture de la jambe du solide défenseur Charly Kellermüller dans un choc avec l’ailier gauche biennois Aesbacher L’infortuné Servettien doit mettre un terme à sa carrière après trois ans chez les Grenats. Il se reconvertit avec succès dans les assurances (!) et intégrera ensuite la direction du SFC en tant que vice-président. Son rôle ne sera pas négligeable au moment de la décision de se lancer dans le professionnalisme en 1932. Il endossera un rôle de manager et ne sera pas étranger au bras de fer engagé par Servette contre l’ASFA à l’aube de la Coupe du Monde 1934 (cf. chronique du 12.11). Suite à cet incident, Servette porte plainte auprès de l’ASFA pour « agression caractérisée ». Nous ignorons ce qu’il en est advenu…

Rappel pour ceux qui ont moins de 100 ans  : l’ASF s’appelait encore ASFA à l’époque mais siégeait déjà dans le canton de Berne.

Le blessé à Bienne : Charly Kellermüller

Bienne à Genève en championnat : une anomalie ?

Deux mois après la confrontation en Coupe, Biennois et Servettiens se retrouvent à Genève à l’enseigne du championnat. Servette, qui a perdu le derby contre Carouge, se doit de gagner pour ne pas être décroché. En ce lendemain « toujours épineux » de l’Escalade, les Grenats l’emportent facilement 3:1 face aux champions déchus. Jäggi IV, l’Ecossais Thurling et le nonchalant esthète Passello ont inscrit les réussites servettiennes. Dans son compte-rendu, Joe Navarro, ancien portier servettien de la Nati devenu chroniqueur sportif, s’interroge sur la présence de Bienne dans le groupe Ouest : après avoir rappelé que le titre de champion de groupe avait échu de façon accidentelle aux Biennois l’année précédente, il constate que les jeu des Seelandais n’a depuis subi aucune modification ni en valeur ni en douceur. Il conclut : « Les Biennois restent de bons Bernois que l’on peut s’étonner, à juste raison, de voir jouer dans notre région. Ils ne sont et ne seront jamais les représentants naturels et qualifiés de notre pays romand. Quelle anomalie ! » Toutes les autres évocations de l’équipe biennoise du même automne sont à l’avenant : « colosses maladroits », « joueurs-lutteurs »… Au chapitre des critiques, Joe Navarro déplore en outre que l’arbitre M. Spengler ne sache pas encore que le hors-jeu se siffle selon la position de départ et non d’arrivée de la balle…

Rappel pour ceux qui n’allaient pas voir jouer Servette à cette époque : en 1925, les règles du hors-jeu ont été modifiées, avec entre autres l’abaissement de trois à deux du nombre de joueurs que l’attaquant doit avoir derrière lui pour ne pas être hors-jeu.

Cette histoire de groupes…

Pendant longtemps, les équipes suisses jouaient les unes contre les autres dans des poules régionales puis les vainqueurs s’affrontaient dans les finales nationales. Il arrivait fréquemment que les clubs bernois soient incorporés au groupe Ouest. Difficile de se faire une idée exacte des relations entre Romands et Alémaniques de l’époque, mais il n’est pas inutile de se souvenir que les deux principales régions du pays avaient été à deux doigts de la rupture sportive au sortir de la guerre de 14-18 (cf. chronique du 10.10). Relativisons néanmoins : lors de la pause hivernale 1926-1927 n’est-ce pas Servette lui-même qui, lassé par l’hostilité qu’il rencontrait en Romandie, demanda, sans succès, son incorporation au groupe de Suisse centrale ? La création d’une ligue nationale unifiée (la LNA) en 1933 mettra fin à ces débats, ou leur donnera une autre forme… Plus pittoresque : on disputait en ce temps des matchs Suisse romande-Suisse alémanique. Dans l’intervalle qui avait séparé les deux matchs contre Bienne évoqués ci-dessus, les Romands (à savoir 10 Servettiens dont plus d’un né Outre-Sarine !) avaient balayé les Alémaniques (qui n’alignaient pas leurs meilleurs éléments) 5:0…

Bienne n’était qu’un début…

Entrée des joueurs lors de la finale (côté rue de Lyon)

En championnat, Servette doit s’accommoder de la supériorité carougeoise. En Coupe par contre, les Grenats font feu de tout bois. Ils continuent de disposer de formations bernoises en prenant le meilleur sur le FC Madretsch (5:2) puis en allant gagner brillamment sur la pelouse du FC Berne (0:4). Ils sortent ensuite Saint-Gall (1:3) puis vont chercher leur billet pour la finale à La Chaux-de-Fonds (1:2). Le 25 mars 1928, ils défient les Grasshoppers au Parc des Sports de Genève. Les Sauterelles, seule équipe à avoir inscrit son nom au palmarès de la toute jeune Coupe de Suisse, partent favorites. Selon l’anecdote narrée par Jacques Ducret, sur la route de Genève, les Zurichois auraient savouré à Vevey une marmelade Servette et une coupe GC… Pourtant, cet après-midi-là, devant 12 000 personnes, un Servette plus athlétique, «n’y allant pas avec le dos de la cuiller» terrasse des Zurichois déboussolés par les longs ballons adressés aux attaquants servettiens et incapables de franchir la robuste défense servettienne. Servette l’emporte 5:1 ! Les Zurichois auront au moins eu l’occasion de pratiquer leur anglais : lorsque Passello part en poussant le ballon de la main pour marquer le troisième but, les visiteurs lèvent les bras en criant « hands » et s’arrêtent de jouer. Rebelote en fin de partie lorsque Passello décidément intenable file inscrire un cinquième but et que la défense zurichoise s’arrête en criant «offside» !

Petit rappel : en ces temps héroïques, l’un des protagonistes de la finale recevait son adversaire sur son terrain. Les finales systématiquement au Wankdorf sont une invention d’après-guerre.

Remise du trophée Aurèle-Sandoz

Sans rancune

Si des supporters biennois au caractère bien trempé ont su résister jusqu’au bout de cette chronique si désobligeante pour leur équipe, nous les en remercions et leur offrons en cadeau cette petite photo de leur équipe affrontant les Grasshoppers lors des finales du championnat 1926-1927.

Petit rappel : Bienne a été champion suisse en 1947

Attaque biennoise lors des finales du championnat 1927 contre Grasshoppers

Dernière chronique 1954 : le petit tour de Thoune en LNA, fringante victoire de Servette dans un Lachen flambant neuf

Prochaine chronique : Ce poteau de Bizzini qui aurait pu changer la face du monde… ou du moins du championnat de 1976 !

Jacky Pasteur et Germinal Walascheck

6 réflexions sur « J-4: “Les Biennois sont de bons Bernois” : une analyse de 1927 »

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