Servette étrille les Grasshoppers pour célébrer son titre

SFC GCz

Fêter un titre en battant GC est déjà une chose bien particulière mais ce soir-là, le score fleuve de 7:0 l’était encore davantage…

Une pluie fine de mai tombe sur les Charmilles, le match est sans enjeu, mais 10’000 personnes ont néanmoins souhaité contempler l’apothéose d’une saison menée tambour battant par les Grenats. En première période, les Zurichois, qui n’auront décidemment pas été des foudres de guerre cette saison-là, offrent une réplique défensive solide et appliquée aux entreprises servettiennes mais pêchent par maladresse en attaque face à la brillante arrière-garde servetienne où Roesch se met une nouvelle fois en évidence. Les Grenats ont l’emprise sur le match, mais ni la belle entente du tandem magyar Makay-Nemeth sur le flanc droit ni l’inlassable activité de Walter Heuri dans le compartiment offensif ne sont couronnés par un but. A la mi-temps, le score est encore vierge. A la reprise, le remuant Jurassien fait bien involontairement bousculer la partie : alors qu’il s’apprêtait à ouvrir le score, Heuri est victime d’un violent télescopage provoqué par le portier zurichois Elsener. Les deux joueurs doivent alors quitter la pelouse, le jeune Versoisien Romolo Merlin s’incorpore à l’attaque des Grenats et le quasi-quadragénaire Corrodi reprendre du service dans la cage zurichoise.

Heuri
Curieux ballet d’Heuri avec un défenseur de GC, photo : http://www.lexpressarchives.ch

La sarabande

Le jeu des Grenats va alors crescendo. Très inspiré, le tandem Fatton-Georgy se met en exergue et les buts tombent comme des fruits mûrs : Pierrot Georgy en inscrit trois, Jacky Fatton deux, Valer Nemeth et Didier Makay un chacun. Ce final époustouflant est une énième illustration du formidable football offensif et mordant distillé par les Grenats de la cuvée 1961-1962. Servette finit ainsi en beauté la saison sur sa pelouse des Charmilles où il est demeuré invaincu, infligeant à ses infortunés adversaires la bagatelle de plus cinq buts par match en moyenne ! Jacky Fatton en a à lui seul réussi l’impressionnant total de 25 cette saison-là. Quant à René Schneider et Jacques Barlie, ils ont été les portiers les plus intraitables du pays.

but MAkay
Didier Makay sale l’addition…

L’heure des lauriers 

A l’issue de cette démonstration, les Servettiens se voient remettre officiellement le trophée de champions suisses, ils sont pour l’occasion entourés des joueurs de l’équipe réserve, également sacrée dans son championnat, ainsi que de juniors. L’entraîneur Jean Snella qui a su en si peu de temps catalyser le jeu servettien et envoûté le public est ovationné. Le délégué de l’ASF, dans son discours, s’attarde sur les mérites personnels du canonnier servettien Jacky Fatton, la foule scande alors sans cesse « au Chili, au Chili ! ».

Fatton et Habib

Le grisonnant attaquant aux 37 printemps bien tassés sera bel et bien de la campagne helvétique en Coupe du Monde mais il n’apparaitra pas en équipe première, devant se contenter de donner une belle réplique à une autre vieille gloire, l’Allemand Fritz Walter, dans un match des réserves. Les autorités de la ville et du canton y vont également de leur concert d’éloge puis les Grenats, joyeusement escortés de centaines de gosses, entament un tour d’honneur rythmé par la fanfare officielle convoquée pour jouer l’hymne national.

1961-62_servette_champion_barlie

Un collectif soudé d’où se distinguent deux curieux oiseaux…

Même si l’on peut mettre en avant les mérites des uns ou des autres, la force du Servette du début de la décennie 1960 réside essentiellement dans un esprit de corps forgé par Jean Snella dans un effectif jeune et réceptif. Le même groupe avait déjà conquis le titre l’année précédente puis avait été renforcé par deux joueurs dont les tribulations sont restées dans les annales : Rolf Wüthrich et Giulio Robbiani.

Champion de boxe et dopé à l’insu de son plein gré ?

Blessé, Rolf Wüthrich, vendeur dans l’habillement, n’avait pas pris part à l’ultime rencontre contre GC. Né en 1938, ce Zurichois polyvalent (il pouvait être indifféremment aligné dans tous les compartiments de jeu et avait été champion suisse SATUS de boxe) avait auparavant joué un rôle actif dans la belle saison des Grenats. Lors de la mémorable double confrontation contre les Tchécoslovaques du Dukla Prague, il s’était d’ailleurs attiré un compliment du capitaine des futurs vice-champions du Monde Masoput : « A chaque poste, c’est LUI, le meilleur. » 13 fois sélectionné en équipe de Suisse, il avait été un des « héros de Berlin » qui avaient terrassé la Suède en novembre 1961 pour envoyer la Suisse au Chili. Ses récurrents problèmes au tendon d’Achille l’empêcheront toutefois de faire la grande carrière à laquelle il paraissait voué. Transféré en Bundesliga (Nuremberg) à l’été 1964, il galvaudera cette opportunité en se cassant bien vite un bras. Sa venue au Servette avait été le prétexte à un curieux vaudeville avait le FC Zurich dans le rôle du cocu : ce club refusait de le laisser partir chez le rival du Hardturm mais était disposé à le vendre aux Grenats pour 100’000 francs. Au moment de se priver de leur meilleur élément, les dirigeants du FCZ  ignorait que Servette s’accorderait ensuite avec GC pour transférer automatiquement Wüthrich au Hardturm après une saison passée aux Charmilles en échange du prêt de Giulio Robbiani… Une fois éventé, ce deal suscita l’ire de la direction du FCZ et le vice-président servettien dut se rendre sur les bords de la Limmat pour se justifier de cette manigance lors d’une conférence de presse houleuse. Il était décidemment écrit que le passage de Wüthrich à Genève sentirait le soufre : en décembre 1962, la presse zurichoise se fait écho de piqûres calmantes qu’auraient administré les médecins servettiens à leur attaquant pour lui permettre de disputer les ultimes matchs de la saison en dépit de douleurs à la cheville. Les Grasshoppers estimant que l’incapacité de jouer de leur nouvel attaquant était liée à ce traitement illicite, le club se tourne alors vers l’ASF puis vers la compagnie qui assure le Servette FC, en vain. Les dirigeants servettiens démentent toute malversation. Dans la rubrique sportive, un mot se diffuse du cyclisme au football : doping.

Wuthrich

Un oiseau de nuit faisant bisquer Rappan ?

Tout comme pour Wüthrich, le nombre de sélections nationales du Tessinois Giulio Robbiani ne rend pas hommage à son talent intrinsèque. Bien qu’il ait été meilleur buteur du championnat 1960-1961 avec GC, il n’ira pas plus loin que la sélection B : pour une bière bues à Liège la veille d’un match, le sélectionneur national Karl Rappan décidera de le sanctionner en ne faisant plus appel à lui pour le cadre national, « son comportement ne correspondant pas aux sacrifices que l’on est en droit d’exiger de la part d’un sélectionné ». Le Servette FC se fendra d’un communiqué pour attester de la probité de son joueur, rien n’y fera. Pour ne rien arranger, en février 1962, Servette acceptera de servir de partenaire d’entraînement à l’équipe nationale d’Italie, futur adversaire de la Suisse en Coupe du Monde. Outre une lourde défaite, cette rencontre valut aux Grenats de nouvelles foudres de leur ancien coach…

Robbiani servette Dukla PRague
Robbiani, à deux doigts de marquer contre Dukla Prague…, photo : http://www.lexpressarchives.ch

L’attaquant Robbiani pouvait à la fois évoluer dans le registre de la force et de la finesse, même si le football qu’il distillait était moins racé que celui de Dédé Bosson au même poste. Il s’était d’emblée distinguer sous le maillot grenat : pour son premier match, il réussissait 4 des 6 buts grenat en match amical contre UGS. Pas encore qualifié, il n’avait pas pu prendre part au début de saison. L’UEFA, plus souple, l’avait par contre qualifié pour les matchs de Coupe d’Europe et dès la troisième minute de jeu, il avait déjà fait trembler les filets d’Hibernians Malta (victoire 5:0). Sa qualification pour le championnat avait coïncidé avec une rencontre contre Young Boys, véritable bête noire des Grenats ces années-là, mais que le concours de Robbiani avait permis d’enfin vaincre. De tempérament latin, certains lui reprocheront parfois une certaine inclination pour le farniente, il disputera 3 saisons chez les Grenats avant de faire partie du groupe de joueurs brutalement limogés par simple lettre recommandée à l’été 1964. Robbiani se refera une santé à UGS puis se fixera à Genève.

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek

 

La semaine prochaine : Ce match qui aurait pu être le dernier

La dernière chronique : Servette échappe à la relégation (deuxième partie)

4 réflexions sur « Servette étrille les Grasshoppers pour célébrer son titre »

  1. J’avais 18 ans et j’ai assisté aux Charmilles à tous les matchs évoqués dans cet article, mais je n’avais pas conscience à l’époque, des coulisses et à côtés de la venue au Servette de ces joueurs de poids, en renfort de l’équipe pour affronter avec les meilleures chance, les rencontres européennes qui les attendaient… J’ai seulement regretté que leur arrivée, bien qu’ayant donné plus de solidité et d’expérience aux « jeunes de Snella », ait relégué Bosson et parfois Heuri sur le banc. La belle jouerie des triomphateurs de la saison précédente (record de points avec la moyenne d’âge la plus jeune du championnat) en a souffert au profit de la puissance du nouveau duo…
    A l’époque, on pouvait être champions suisse avec, à part Jacky Fatton, une équipe « biberon » sur le terrain…
    A méditer pour l’avenir!

    J’aime

Répondre à Michel Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.