Le championnat Suisse ne devait reprendre son cours normal que le 26 février, mais le 15 janvier, Servette avait déjà le redoutable honneur d’accueillir sur sa pelouse, en match de rattrapage, le FC Bâle, champion d’automne. L’occasion pour les Grenats, cinquièmes, de se replacer dans la course au titre…
Les Grenats en grande forme
Après un début de championnat en dent de scie, marqué par des défaites à Bâle et Zurich, les Grenats font néanmoins la course dans le peloton de tête. En janvier, ils signent un retentissant succès au Letzigrund face au co-leader Zurich en Coupe et réaffirment leur prétention à fêter un nouvel anniversaire avec un titre, comme ils l’avaient fait pour leurs quarante ans (1930) et leurs cinquante ans (1940). En face, les Rhénans, au football compact et solidaire, figurent en tête du championnat et peuvent espérer épingler un tout premier titre national à leur palmarès…
Fatton cueille les Bâlois à froid…
Devant 12’000 spectateurs, une descente bien orchestrée par Jerusalem et Peyla permet à Jacky Fatton d’ouvrir la marque dès la 6ème minute alors que la défense rhénane croyait au hors-jeu. La machine bâloise se met alors en marche et les Servettiens sont dominés jusqu’à la mi-temps par une équipe à la jouerie efficace. Dans les deux camps, la ligne d’attaque surpasse clairement les autres compartiments de jeu : les combinaisons de passes des Genevois et le style plus britanniques des Rhénans n’échouent que devant le brio des deux gardiens, le jeune Bâlois Muller et l’ex-Ugéiste Bussy, parfois secondés par un brin de chance.

… puis porte le coup de grâce
En seconde période, les Bâlois ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Servette a l’emprise sur le jeu mais une certaine lenteur des attaquants Zufflé et Jerusalem ainsi que les prouesses de Muller retardent l’estocade. C’est finalement Jacky Fatton, dans une forme éblouissante, qui scelle le score final (2:0) suite à un joli centre de Tamini à dix minutes du terme. L’addition aurait pu être plus lourde pour des Bâlois submergés par la malice et la virtuosité des petits attaquants servettiens en fin de partie.
Rappan déjoue le WM
Ce succès ouvre de belles perspectives pour les Grenats qui reviennent à trois longueurs des leaders rhénans mais avec un match en moins (Servette battra Lugano la semaine suivante). Conjuguée au succès en Coupe obtenu à Zurich, cette victoire pose aussi la question du meilleur dispositif tactique à adopter. Bâlois et Zurichois, avec des nuances, avaient adopté le WM, Karl Rappan, qui avait quitté la direction de l’équipe nationale en début de saison pour se consacrer uniquement au SFC, restait fidèle à un système de jeu encore très inspiré du « verrou » qu’il avait contribué à faire naître une quinzaine d’année auparavant. Il déjouait ainsi les innovations de ses adversaires même si la réussite de son système de jeu devait surtout beaucoup à la finesse de sa ligne d’attaque, où, comme en 1946 lors du titre précédent, le trio Fatton-Pasteur-Tamini avait enchanté le public. Au printemps, lorsque Servette sera sacré champion suisse, le technicien autrichien rendra d’ailleurs hommage à la subtilité de ses lutins de l’attaque en déclarant : « ce qui est plaisant justement dans le jeu de notre équipe formée d’éléments à caractère individualiste, c’est la finesse de la conception, la légèreté de la réalisation. C’est là un avantage de la mentalité des Suisses romands. Cela nous permet de chercher à gagner non par notre puissance mais par le meilleur football. Nous ne voulons à aucun prix donner le pas à la puissance sur la beauté et la finesse. »
Le vétéran autrichien
Dans ce concert de louanges adressé à l’attaque servetienne, une figure apparait légèrement en retrait : le Viennois Camillo Jerusalem, 35 ans, a clairement son passé derrière lui. Même si sa technique est restée intacte et ses shoots percutants, ce pilier de l’équipe d’Autriche d’avant l’annexion nazie n’a pas l’apport espéré. Né de père juif et de mère triestine et catholique, Jerusalem avait quitté l’Autriche peu après l’Anschluss. Quelques semaines auparavant, lors d’un match amical en Bavière, son entraineur avait été prié de ne pas l’aligner, il était passé outre et Camillo Jerusalem ayant marqué un but, la presse locale fut bien forcée de mentionner son patronyme si peu aryen… Parti en France (Sochaux), il fut par la suite enrôlé de force dans la Wehrmacht. Après un court retour en Autriche après la guerre, il reprendra le chemin de la France avant que Karl Rappan ne le fasse venir à Genève. Après deux saisons en demi-teinte aux Charmilles, il entrainera le FC Granges.

En route pour le Brésil !
La grande forme de Jacky Fatton, concrétisée par ces deux réussites contre Bâle, avait déjà permis à l’équipe de Suisse de décrocher son billet pour la Coupe du Monde brésilienne à l’issue d’un poussif succès sur les modestes Luxembourgeois (3:2). Au printemps, il confirmera tout son allant, emmenant les Servettiens vers un onzième titre remporté en marquant la jolie bagatelle de 73 buts, soit 25 de plus que leurs dauphins bâlois. Un ultime succès des Grenats à Lugano alors que Bâle, crispé par l’enjeu, s’effondrait à domicile contre Chiasso, scellait le sort du championnat. Jean Tamini et Jacky Fatton pouvait partir le coeur léger vers le Brésil…


Jacky Pasteur et Germinal Walaschek
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Rigueur et ambition, Servette à l’heure allemande

Comme d’habitude, belle histoire. Merci aussi pour ces belles photos.
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Je t’en prie et remercie à mon tour la personne qui nous a fait parvenir la chouette caricature !
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