Le tour pendable de l’ange blond

SFC-Lugano

Il avait durant une demi-décennie été l’inamovible ange gardien des cages servettiennes. Pour son retour dans l’antre des Grenats à la tête du FC Lugano bien des années plus tard, il se verra contraint d’aller expulser son gardien hors du périmètre de jeu, un peu comme on traîne un ivrogne à la sortie d’un bar au moment de la fermeture. Un scénario burlesque qui n’empêchera pas les bianconeri de jouer un bien vilain tour à des Grenats peut-être trop sûrs de leur fait.

Un recrutement de choix

Karl Engel a 23 ans lorsqu’il dépose ses valises aux Charmilles. Formé au FC Ibach, ce gardien schwytzois avait percé au plus haut niveau au sein du FC Lucerne. A l’été 1975, le duo dirigeant servettien Cohannier-Maus se donne les moyens (800 000  francs) de réaliser des transferts pouvant permettre au SFC de s’épargner une énième saison de transition dans le ventre mou du classement. Le poste de gardien doit être repourvu : au cours des saisons écoulées, Brignolo, De Blaireville et Marti s’y étaient succédés sans parvenir à s’imposer durablement. Blessé au poignet, René Marti n’offre pas toutes les garanties pour la saison à venir. Parmi les palpables pour ce poste, Küng (Winterthour) opte pour Xamax. Le choix se porte finalement sur Karl Engel. Lucio Bizzini (CS Chênois) complète le recrutement défensif, en attaque Kudi Müller et Alfred Hüssner rejoignent l’effectif. Servette a belle allure ! On commence à parler d’un onze de “millionnaires”…

Servette revient au sommet

Les cinq saisons servettiennes de Karl Engel se confondent avec les années dorées de la formation servetienne qui culmineront avec les quatres trophées conquis lors de la saison 1978-1979. Très sûr sur la ligne, athtlétique, Karl Engel était également à l’aise dans tout le périmètre de ses 16 mètres. Le régal offensif offert par les Grenats au cours de ces années-là ne doit pas faire oublier, qu’en encaissant moins d’un but par match en moyenne, Karl Engel fut sacré trois fois gardien le plus intraitable de Suisse.

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Face à GC (saison 1977-1978)

Coups d’éclat en Coupe d’Europe

Dans l’ombre d’Eric Burgener en équipe de Suisse (il en sera l’éternelle doublure, ne capitalisant longtemps qu’une seule sélection – contre la Pologne en novrembre 1978), Karl Engel allait par contre briller lors des confrontations européennes des Grenats, avec en point d’orgue une performance exceptionnelle à Düsseldorf contre Fortuna lors la mémorable épopée 1978-1979. Le précieux 0:0 obtenu par les Servettiens dans la Ruhr doit beaucoup aux prouesses de son gardien qui s’offrit même le luxe de retenir un pénalty. Un cruel match nul (1:1) au retour enterrait les espoirs genevois d’une demi-finale européenne. Quelques mois plus tard à Berlin, Karl Engel ressort le grand jeu face aux redoutables Est-Allemands du Dynamo Berlin, limitant au minimum la défaite des Grenats (2:1). Dès le printemps 1980, Karl Engel fait de fréquents séjours dans le but de l’équipe de Suisse, toujours en concurrence avec Eric Burgener, tandis qu’un troisième larron, le Zurichois Berbig, enfin venu à bout de ses études de médecine, pointe lui aussi le bout de ses gants…

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débuts internationaux face à la Pologne

Départ pour Neuchâtel

Discret, intègre, Karl Engel s’avérera tout au long de sa carrière un redoutable négociateur de contrats et c’est en mauvais termes avec son employeur servettien qu’il serait parti pour la Maladière à l’issue de la saison 1979-1980 après cinq ans passés aux Charmilles. La rumeur de son départ, infirmée, puis confirmée, est à inscrire dans un contexte plus large d’atermoiements dans la reconduction des contrats alors que Servette, qui avait le titre à portée de mains, s’effondrait dans l’ultime ligne droite au profit du FC Bâle… Durant l’été 1977, le portier schwytzois avait d’ailleurs déjà briévement figuré sur la liste des transferts avant de finalement trouver un accord avec le club grenat. Privé de son ange blond, Servette se dépatouillera une saison durant avec l’infortuné Jean-Claude Milani dans les buts avant qu’Eric Burgener ne vienne combler le vide laissé par le départ de Karl Engel. Devenu le dernier rempart de la formation xamaxienne de Gilbert Gress, Engel brillera à nouveau sur la scène européenne : lors d’une mémorable rencontre face au Sporting de Lisbonne en novembre 1981, il fera le désespoir des attaquants portugais permettant aux Rouges et Noirs de signer l’un de leurs plus beaux exploits continentaux (0:1). La veille, le discret Schwyzois avait fêté ses 29 ans, sans que ses coéquipiers ne le sachent… Par une prometteuse soirée de juin 1984, Karl Engel jouera un premier tour pendable à son ancien club : il suffit à Servette de disposer de Xamax aux Charmilles pour fêter un titre national. La partie est crispante, Servette est maitre du jeu mais ne trouve pas la faille, Karl Engel, en état de grâce, détourne tout. Lorsque les Grenats trouvent enfin l’ouverture à 20 minutes du terme, ils se déconcentrent immédiateemnt et Xamax égalise dans la foulée. Il faudra jouer un fatidique match d’appui contre GC…

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Karl Engel fait le désespoir des avants grenat (ici Brigger)

Lorsque les Neuchâtelois parviendront enfin à fêter un titre national (1987), Karl Engel avait déjà été poussé vers Lugano par un jeune portier aux dents longues : Joël Corminboeuf. Peu auparavant, la trentaine bien sonnée, il avait réussi à s’imposer dans les buts d’une équipe de Suisse coachée par Paul Wolfisberg et qui avait longtemps été en course pour une qualification pour le Mondial mexicain de 1986. Au total, Karl Engel totalisera 26 capes internationales.

Le football lui colle aux basques

La carrière de joueur actif de Karl Engel s’éteindra avec la décennie 1980. Enseignant de formation, celui qui ne voulait pas dépendre exclusivement du football, avait entamé une carrière dans une banque luganaise. Le virus du football devant être le plus fort, il relève le défi lancé par son ancien coéquipier xamaxien Uli Stielike en septembre 1990 : devenir le premier entraineur spécifique des gardiens de l’Histoire de la Nati. Martin Brunner et Philipp Walker se retrouvent donc sous ses ordres. Peu après, Lugano lui offrira une place d’entraineur et c’est là que les choses se gâtent à nouveau pour les Grenats…

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Un nouveau défi comme préparateur des gardiens

Sauver sa saison comme on dit…

La demi-finale de la Coupe de Suisse 1992 met aux prises aux Charmilles le Servette FC et le FC Lugano. Pour les deux formations, la saison n’a jusque là pas été à la hauteur des espérances : les Tessinois, incapables de décrocher leur billet pour le tour final de LNA doivent encore batailler ferme pour ne pas chuter en LNB et les Genevois, parfois si inspirés sous la baguette du prince Igor Dobrovolki, ont bien compromis leurs chances de de participer à la Coupe de l’UEFA en s’inclinant à la Pontaise. Pour les Grenats, la saison, entamée de façon catastrophique sous la direction de l’entraineur belge Jean Thissen, avait été très inégale : aux fulgurances à domicile avaient succédé de coupables absences à l’extérieur, l’équipe du Belge Michel Renquin dépendait excessivement du bon-vouloir de sa perle slave Dobrovolski et à un degré moindre de l’inspiration de son magicien brésilien José Sinval. L’eeffectif avait pourtant fière allure avec le gardien international Marco Pascolo, l’inusable Heinz Hermann dans l’entrejeu ou encore le prolifique buteur danois Miklos Molnar.

Servette à la peine    

Favori sur le papier, Servette peine à tenir son rang. Les 9’300 spectateurs des Charmilles découvre une formation luganaise qui s’enhardit au fil des minutes, se crée quelques occasions et finit logiquement par marquer. Mal positionnés, peu inspirés, les Servettiens doivent attendre le début de la seconde mi-temps pour revenir à la marque à la faveur d’un tir rageur en pivot décoché par Miklos Molnar des seize mètres. La partie est une véritable confrontation de Coupe : la tension est palpable, les beaux gestes se font rares, Servette maitrise le ballon mais reste brouillon, Lugano attend son heure. BUT. Dans les ultimes minutes de jeu, les Grenats se lancent fatalement à l’attaque lorsqu’une curieuse scène de jeu débouche sur un pénalty contesté par les Luganais : l’ex-junior bernésien Julien Baumann court, après un ballon filant vers la ligne de fond, trébuchant tout seul, il parvient, dans un équilibre précaire, à poursuivre sa course jusqu’à croiser la sortie du gardien luganais Philip Walker qui le fait définitivement tomber. Ce don du ciel permet à Dobrovolski de remettre les deux équipes à égalité avec un flegme et une nonchalance tranchant singulièrement avec la déconfiture de l’entraineur grenat Michel Renquin, qui, aux abois, tourne le dos à cette ultime scène de jeu. Son lent supplice n’était pas encore arrivé à son terme…

Lugano proche du k.-o.

Fatigue aidant, le jeu présenté dans la première prolongation devient d’une facture toujours plus exécrable, Servette piétine littéralement tout en demeurant la formation la plus dangereuse. A l’ultime minute de la première manche, un certain Jean-Michel Aeby se fend d’un boulet de canon de 25 mètres qui contraint Philip Walker à une spectaculaire détente pour détourner l’envoi. Dans son mouvement, le portier tessinois se blesse à la jambe, il ne peut pas reprendre la partie… Lugano ayant déjà effectué les deux changements réglementaires autorisés à l’époque, c’est un joueur de champ, Marco Walker, frère du malheureux Philip, qui chausse les gants. Il reste un quart d’heure à jouer, les Luganais sont en infériorité numérique et alignent un gardien de fortune. Servette et sa phalange de stars pourra-t-il enfin passer l’épaule ?

Un drame burlesque

Sur le banc grenat, secondé par le fidèle Jacques Barlie, Michel Renquin arbore un regard de noyé, son équipe est incapable de développer un jeu permettant de mettre en péril le gardien luganais. Derrière le but, Philip conseille le frangin. L’arbitre le fait reculer. Le kop grenat bout de colère, réclame le départ de l’intrus. C’est finalement Karl Engel qui vient repêcher son gardien pour le ramener sur le banc, Philip Walker se débat et proteste, la scène est piquante : l’ancien gardien des Charmilles vient tirer son poulain de l’équipe de Suisse hors du périmètre du terrain alors qu’il s’évertue à vouloir coacher de tout près son frère qui fait ses grands débuts dans les buts dans une prolongation chauffée à blanc qui doit désigner l’adversaire du FC Lucerne pour la finale de la Coupe… Les minutes s’égrènent, Servette domine sans idées et on ne connaitra jamais la vraie valeur du brave Marco… Pire : suite à une subtile combinaison, l’inévitable Zuffi ajuste lui aussi une frappe terrible qui surprend Pascolo. Il ne restait qu’une poignée de minutes à jouer. Pour faire bonne mesure, profitant d’une montée intempestive de Pascolo dans les dernières secondes de jeu, les Luganais inscrivent un quatrième but pour une des demi-finales les plus folles de l’histoire de la Coupe de Suisse. Les Servettiens battus ce soir-là peuvent inscrire leur nom sur la longue liste de la légende noire des Servettiens ridiculement battus en Coupe de Suisse alors qu’ils étaient censés être largement supérieurs…

Une carrière d’entraineur qui prend forme

A défaut de s’emparer du trophée Angèle-Sandoz (victoire de Lucerne 3:1 après prolongations), Karl Engel sauvera la peau de Lugano en LNA, il coachera ensuite le FC Bâle au début de sa renaissance. Il s’est désormais établi au Tessin.

Nous avons mis en ligne 45 minutes d’extraits de la dramatique demi-finale Servette-Lugano de 1992, au micro de Jean-Jacques Tillmann, Karl Engel s’exprime avant et après la rencontre. Vous pouvez voir tout cela sur :

http://www.youtube.com/watch?v=IX7J462VTsA&feature=em-uploademail

Dernière chronique : Chiasso laminé : Servette européen !

Des nouvelles du livre « Un peu d’Histoire… »

Couverture et quatrieme de couv

Pour ceux qui prendraient le train en marche, rappelons qu’il y a quatre mois de cela, nous avons publié un ouvrage compilant une soixantaine de textes sur la grande Histoire du Servette FC des origines à nos jours. Sorti dans un contexte sportif difficile, le livre a néanmoins su trouver son chemin jusqu’aux mains des amoureux des Grenats. Les messages d’encouragement à notre égard ont été nombreux, les critiques très positives. La vente de l’ouvrage se poursuit bien, trois enseignes genevoises le proposent en librairie (pour de plus amples informations, cliquez ici) et l’ouvrage peut également être commandé sur Internet directement auprès des auteurs, en cliquant ici. A mettre entre toutes les mains, de 0 à 123 ans !

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek

17 réflexions sur « Le tour pendable de l’ange blond »

  1. Ouais sympa de revoir les images et le contingent de l’époque.
    Par contre, dans mon souvenir Lugano avait perdu son gardien sur une expulsion et non une blessure. Comme quoi les souvenirs… ça reste une des pires défaites du club, une des plus ridicules en tout cas.

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      1. Belle patate de Jean-Mich quand même. Drôle de voir Schälli, Renquin (clopes sur clopes…), le grand Dobro (« on me donne des ballons carrés je les redonne ronds »), Arne Stiel (on a toujours eu des latéraux exceptionnels :p) et tous les autres ! La transition attaque-défense et l’inverse c’était tran-quille !

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  2. Quand Engel était au but du Sfc,pendant une bonne période
    il y a eu une grosse campagne assez violente du Blick contre
    lui.On lui reprochait 2-3 sorties assez musclé hors de ses 16,
    a l’époque le Sfc faisait peur tout était bon pour le déstabiliser,
    Avoir le Blick contre soi,explique peut être le peu de sélections
    de Engel en équipe nationale.

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  3. Super de pouvoir revoir ce match :-).

    J’ai noté :

    – Un Tilmann anti-servettien notoire
    – Un Prince Igor pas très cracheur, hormi un tacle, mais qu’elle aisance technique !!! Igor je t’aime !!!
    – Un bon Sinval, un bon Aeby et un bon Schepull
    – Un Pascolo et un Hermann aux fraises.
    Les Charmilles me manquent ;-(

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    1. Je ne dirais pas que Tillmann soit a priori anti-servettien, gamin, c’est aux Charmilles qu’il allait voir les match (bien que Vaudois). Je pense plutôt qu’il fait partie de cette génération de gens qui ont connu un (voire des !) très grand Servette et que par la suite Servette s’est malheureusement souvent ridiculisé ce qui a poussé certains à devenir caustiques (Jacques Ducret est un autre exemple). Jean-Jacques Tillmann reste pour moi une des grandes voix de la TSR, largement au-dessus de tous les autres depuis bien longtemps.

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