
Servette se fait lourdement piéger par le fringant néo-promu schaffhousois. Il existe de meilleures manières de préparer sa première sortie européenne…
Fringale de rencontres internationales
Servette avait fini la saison 1954-1955 à une maigre sixième place mais avait excellé dans un autre exercice : remplumer son gousset à grand renfort de matchs de gala à l’étranger et d’invitation d’équipes étrangères prestigieuses. Ainsi, les Grenats avaient-ils effectué deux déplacements dans les iles britanniques pour affronter Preston North End, Distillery Belfast et Tottenham. Un voyage à Madrid avait permis d’affronter l’Espagne B tandis que le public des Charmilles avaient vu défiler l’Armée française ou le Rapid de Vienne, l’Inter de Milan avait été convié à Lausanne pour défier les Grenats, etc.
Brinek à la barre
A l’aube de la nouvelle saison, en juin 1955, c’est l’AS Monaco qui est l’hôte des Charmilles. Programmée en semaine, l’affiche ne fait guère recette : 1’500 spectateurs présents. Les Grenats s’inclinent (0:3) et la déception du public est double : dans les rangs monégasques, un Autrichien, Theo Brinek, est pressenti comme renfort servettien mais il n’est pas aligné. C’est pourtant bien lui qui reprend officiellement les rênes du club grenat une dizaine de jours plus tard. Cette force de la nature, maintes fois sélectionnés en équipe nationale, meilleur buteur de la Principauté au cours de la saison écoulée, prend la place de son compatriote Epp, reparti au pays, à la pointe de l’attaque servettienne. Intronisé entraineur-joueur, il laisse à un autre de ses compatriote, Karl Rappan, le soin de jouer le rôle d’un manager chargé de la vie du club.
Un revenant sympathique
Dans les buts servettiens, un revenant est à nouveau en poste : Toni Ruesch. Karl Rappan se défie de l’épaule d’Eugène Parlier qui risque de souffrir des séquelles d’une blessure. Gégène se retrouve à Frontenex. Pour le remplacer, Rappan fume le calumet de la paix avec le Saint-Gallois Ruesch. Arrivé une première fois à Genève en 1943, il avait immédiatement conquis le public genevois avec son attitude ultra-décontractée frisant la provocation. Ses mèches de cheveux blancs et son visage pâle contribuaient encore à en faire un personnage fascinant. Le titre de 1946 devait beaucoup à son style peu orthodoxe et à ses parades audacieuses. Dans la foulée, sa première sélection internationale restera néanmoins sans lendemain et tournera au vinaigre : la défaite 7:2 concédée en Suède se solde par une dispute avec le coach national Rappan. On a beau lui reprocher d’être insuffisamment consciencieux, il est le chouchou du public servettien. Le contentieux qui l’oppose à Rappan se dénoue avec son départ en 1948. Il empoche deux titres avec La Chaux-de-Fonds avant de revenir, largement trentenaire garder les buts servettiens.

Coup de froid schaffhousois
L’expérience et le talent de Ruesch ne sont pas de trop pour sauver in extremis un point du déplacement au Letzigrund qui marque l’entame de la saison (1:1). A l’enseigne de la seconde journée, le néo-promu Schaffhouse est attendu aux Charmilles. Les Grenats jouent alors un vilain tour aux spécialistes du Sport-Toto. Les Schaffhousois, sportivement fleuris au début du match, ne se laisseront pas abattre par un but précoce concocté par le duo Anker-Nagy. Au contraire, il aura l’heur de les stimuler, et face à des lignes servettiennes apparemment chloroformées par l’absence de l’entraineur-joueur Brinek et la chaleur, les Schaffhousois parviendront à atteindre la mi-temps en ayant égalisé. De belles parades de Ruesch évitent provisoirement le pire.

A la reprise, toujours aussi inconsistant, Servette est cette fois-ci trahi par les bourdes de son portier Ruesch. L’équipe du Munot marquera à trois reprises, collectant ainsi un second succès la plaçant en tête au coude-à-coude avec YB, GC et La Chaux-de-Fonds.

Un ricochet malencontreux
Cette piteuse défaite contre Schaffhouse n’est guère rassurante pour les Grenats, trois jours avant d’affronter le grand Real Madrid. Grâce à l’entregent de leurs dirigeants, les Grenats se sont en effet conviés à la première édition de la Coupe d’Europe des clubs. Cette compétition, dont l’organisation avait été pilotée par le journal l’Equipe entre Paris et Madrid, se déroule sur invitation. Les Servettiens y assurent la présence suisse grillant la politesse aux champions chaux-de-fonniers. En 1956, le Real de Madrid commence à s’affirmer comme un monstre sacré du football européen. Sa politique d’engagement de vedettes étrangères lui a permis de s’octroyer les services d’un certain Di Stefano qui compte parmi les meilleurs joueurs de son époque. Aux Charmilles, les Madrilènes offrent une démonstration de leur maestria technique. Tactiquement, ils sont toutefois mis à mal par des Servettiens qui ont opté pour le « verrou » cher à Karl Rappan. Un peu à court d’entrainement, les Merengues font tourner le ballon mais sans disposer du coup de reins nécessaire pour desserrer les mailles du filet. A un quart d’heure du terme, un shoot anodin de Munoz rebondit bizarrement et trompe Ruesch qui avait déjà plongé. A l’ultime minute, les Madrilènes doublent la mise. Ils se sont finalement dépêtrés des coriaces Servettiens où manquent toutefois les grands attaquants d’antan.

Une exhibition
Au retour, les Grenats, ne ferment pas le jeu mais jouent de malchance : Casali envoie un pénalty sur le poteau, Gilbert Dutoit ajuste violemment la transversale sur un coup franc. Poussés par leur public exigeant, les Madrilènes assurent une plaisante démonstration (5:0) qui renvoient les Servettiens à tout l’écart existant entre le football suisse et le football espagnol. Au moment de tirer les enseignements de cette lourde défaite, malgré les invitations de Bilbao et de Barcelone pour des matchs amicaux, le président servettien Piazzalunga n’est pas dupe : « ou les joueurs suisses ferment le verrou et limitent les dégâts au détriment du spectacle ou ils ouvrent crânement le jeu et des défaites éloquentes s’ensuivent. » Il déplore au passage la réglementation des transferts permettant aux clubs de séries inférieurs d’empêcher un transfert, empêchant ainsi l’accès à l’élite à des joueurs brillants. Il plaide pour l’autorisation d’aligner un second joueur étranger pour que son exemple soit contagieux pour les joueurs du cru et se prononce pour l’introduction d’une dose de professionnalisme pour un nombre restreint de clubs. Dans l’immédiat l’entraineur-joueur Brinek a carte blanche pour redresser la situation…

Le verrou aux vieux fers
Dans un ouvrage récemment paru (Die Legionäre : österreichische Fußballer in aller Welt), des historiens du football ont consacré tout un chapitre à ce qu’ils nomment « l’aide au développement » des footballeurs autrichiens en Suisse. Servette a été partie intégrante de ce mouvement. Dès le début des années 1930, le club grenat se met à l’heure viennoise en engageant coup sur coup Rappan, Tax et Marad. Après-guerre, le règlement sur les joueurs étrangers s’étant durci, les Grenats doivent se contenter d’un seul étranger et jettent souvent leur dévolu sur un Autrichien confirmé pour dynamiser leur attaque. Brinek s’inscrit dans cette lignée où l’avaient précédé Camillo Jerusalem ou Joseph Epp. Les matchs amicaux contre les grosses pointures viennoises sont légion ces années-là. Dans un premier temps, l’association de Brinek et Rappan s’annonce donc fructueuse mais l’alliage se délite au cours de la saison : Servette piétine au classement, une bourde de Ruesch signifie l’élimination en Coupe (0:1 contre YB)… Brinek est en principe sous les ordres de Rappan, dans la pratique, c’est lui qui prépare seul les joutes dominicales. En avril, Rappan se retire de façon anticipée. Brinek a les coudées franches. Servette passe au WM (3-2-2-3 avec marquage individuel) et jette le verrou aux orties. Un beau succès contre YB couronne cette première (3:2). Les Grenats sont plus mobiles offensivement sans s’affaiblir derrière. La querelle des systèmes de jeu n’est pas nouvelle : le WM date des années 1920 et au sortir de la guerre, Servette avait déjà été à deux doigts d’opter pour ce dispositif met le verrou mis en place par Karl Rappan avait tenu bon. Curieusement, alors que Servette adopte ce système tactique, sa prépondérance est battue en brèche par une nouveauté venue de Hongrie : le 4-2-4 qui aura de beaux jours devant lui et sera adopté au Servette par Jean Snella. A la victoire sur YB succèdent un succès contre Lugano puis une lourde défaite au Hardturm contre le futur champion GC (7:2). Servette finit quatrième, Schaffhouse dixième. Brinek est remercié : s’il a donné satisfaction sur le terrain, son intempérance aura mis à mal son autorité dans les vestiaires. A l’été 1956, Rappan se retrouve seul maitre à bord…
L’école française, l’école allemande…
La déception finale de ce court épisode avec Brinek à la tête du SFC est à la hauteur des attentes suscitées par une réédition des prodiges du Servette « viennois » du début des années 30. Le cœur du football cessera progressivement de battre dans la Mitteleuropa. Servette se tourne vers les techniciens français : Jean Snella, – élève du Rémois Batteux,- puis Lucien Leduc avec des résultats contrastés. Au début de la décennie 1970, Jürgen Sundermann tire Servette de son marasme en lui insufflant rigueur et solidité germaniques. C’est le dernier vrai épisode d’un entraîneur-joueur à la tête de l’équipe (Heinz Hermann jouera brièvement ce rôle dans un triumvirat au début des années 1990). Depuis, les repères se sont brouillés, le brassage d’entraineurs s’est accéléré. En attendant le Godot moderne ?
Jacky Pasteur et Germinal Walascheck
Autre chronique concernant le FC Schaffhouse : Sacré Marco !

Tjs un plaisir de lire » un peu d histoire « . Merci Jacky et Germinal
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Je plussoie à fond
et j’aime les anciens shorts façon minijupe…….. Lol
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HS : mais important, qui a des news de notre cher et apprécié Obradovic ?
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On a eu des news aujourd’hui. Les nouvelles sont vraiment rassurantes! Il va devoir un peu changer son rythme de vie mais tous les voyants semblent au vert alors qu’il n’y a pas si longtemps ils étaient rouges écarlates!!!!
Pourvu que cela dure!
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Merci pour les infos. Ça fait plaisir.
De tout cœur en pensées avec Obra, même si on ne se connaît pas.
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