L’Histoire au trente-sixième dessous ? Un plaidoyer !

Le magazine alémanique Zwölf a récemment publié un article intitulé « Die Geschichte liegt irgendwo im Keller » qui déplore le manque de soins apportés à l’Histoire du football suisse. Un rapide compte-rendu de ce texte et un coup d’oeil sur ce qui se fait ici ou là pour donner des idées aux uns et aux autres…

Les coupes à la poubelles…

L’article s’ouvre sur une anecdote inventée mais significative : quelques heures avant le dynamitage du bon vieux Wankdorf, une rumeur s’est propagée à Berne : les archives des Young Boys seraient toujours dans le stade. Faisant fi de leur légendaire lenteur, quelques Bernois se seraient alors hâtés de mettre ce trésor en lieu sûr. L’histoire est fausse mais illustre bien le peu de cas fait de la mémoire historique dans le football suisse. D’autres histoires, vraies par contre, sont édifiantes : des trois coupes de champion du FC Winterthour, deux sont parties aux vieux métaux et le trophée de 1899 du FC Zurich n’a été sauvé d’une benne à ordure que par un gardien de stade vigilant…

Muri, morne plaine

Bien que les clubs suisses soient parmi les plus vieux du continent et à ce titre d’importants témoins des débuts du sport-roi et de son développement, rien ou presque n’est fait pour préserver leur mémoire. Philippe Guggisberg, qui travaille comme historien pour la SFL et a rédigé un livre pour les 75 ans de l’organisation faîtière du football suisse, se dit choqué du peu d’informations disponibles à Muri, tout en rappelant que la SFL joue un rôle d’organisatrice du championnat et que son devoir n’est pas un fastidieux et onéreux travail d’archivage. Il annonce néanmoins pour l’an prochain la mise en ligne d’une base de données avec des extraits télévisés. Selon lui, prendre soin de l’Histoire est la mission des clubs. C’est bien là que le bât blesse…

Un désert et quelques oasis

L’article passe en effet en revue ce qui se fait dans les différents clubs d’Outre-Sarine au niveau de l’entretien du patrimoine historique. Si dans l’ensemble, on peut parler de désert, quelques initiatives méritent d’être mentionnées :

les musées : Young Boys, le FC Bâle et le FC Zurich ont le leur. Tous trois sont de dimension modeste. Un tel projet existe dans le concept présenté pour la Praille. Placer le musée dans un stade peut toutefois être problématique (pour des raisons de sécurité, celui d’YB doit être fermé les jours de match).

les livres : une des dernières parutions concerne le FC Zurich en 2010 (FCZ : eine Stadt, ein Verein, eine Geschichte), Young Boys ou GC, pour ne citer qu’eux, possèdent aussi leur ouvrage historique. Le FC Bâle en publie un à l’issue de chaque saison. Pour Servette, depuis le livre de Jacques Ducret de 1976, peu de choses, si on excepte quelques plaquettes publiées à l’occasion de divers anniversaires ou du titre de 1999 et naturellement 100 ans de football genevois du même Jacques Ducret mais qui ne traite pas spécifiquement du SFC.

 

Voici plus de 35 ans déjà qu’aucun livre entier n’a été publié sur l'Histoire de Servette...

la remise des documents du club aux archives cantonales : le FC Saint-Gall et le FC Bâle l’ont fait. Outre une certaine sécurité dans la conservation du matériel, cette solution offre l’avantage de l’accès aux documents pour les personnes intéressées (chercheurs, fans…). A cet égard, se pose la question de savoir ce que le club possède encore. Il se murmure en effet que la faillite a encouragé certaines personnes mal intentionnées à mettre leur grappin sur certains trésors… Souhaitons que le musée annoncé et promis nous réserve de belles surprises… A l’époque du président Vinas, le club attendait apparemment le retour de certains cartons “saisis” par le Canton au moment de la faillite. Qu’en est-il exactement ? Pour l’instant, l’essentiel des photos projetées sur l’écran géant de la Praille se trouve également sur le site www.super-servette.ch.… Il est à craindre que le club ne possède pas plus…

Les freaks

Un encadré d’une demi-page conclut l’article en évoquant les « freaks » : ces historiens amateurs qui, par pure passion, contribuent à l’entretien de la mémoire du football. La plupart ont choisi le système de la base de données, permettant en particulier les comparaisons entre les équipes. Saint-Gall, Aarau, le FC Zurich ou encore YB ont la leur avec des concepts légèrement différents. L’encadré évoque enfin www.super-servette.ch et sa collection de photos et d’articles.

Histoire du football à la sauce 2.0.

Ce dernier point est particulièrement intéressant : les fans « de base » ont tout à fait leur carte à jouer dans la valorisation du passé du football. Le web offre à la fois un champ de recherches et une possibilité de diffusion des contenus aux passionnés de tous bords qui se substituent bien souvent aux institutions établies. La mise en ligne progressive des archives numériques des journaux helvétiques (et étrangers) est par exemple du pain béni pour les historiens (amateurs ou pas). Les bibliothèques publiques contiennent par ailleurs bien des documents dont l’accès est normalement autorisé au public intéressé. Ce que les différents fans ont réalisé jusqu’à présent dépasse le plus souvent ce que les clubs eux-mêmes ont fait et il y a fort à parier que ce n’est que le début. Citons en vrac :

–          les bases de données : elles listent les matchs disputés par un club, si possible de sa fondation à nos jours. Elle regroupent plus ou moins de données (joueurs, nombre de spectateurs…). Servette n’en a pas encore mais la documentation compilée, saison par saison, par www.super-servette.ch permettrait d’en réaliser une quasi-complète. Une idée de cadeau pour les 125 ans du club ?

 

Base de données du FC Aarau (www.arowa.ch). Outre le télégramme des matchs, elle permet des comparaisons statistiques.

–          les vidéos de matchs du passé : on ne présente plus le partage de vidéos en ligne. Pour Servette, outre les vidéos récentes, on retrouve principalement les finales de Coupe et des matchs de Coupe d’Europe grâce à la chaîne http://www.youtube.com/user/SuperGrenat, cela devrait aller encore croissant prochainement…

 

Pour revivre en images quelques grands moments du club

–          les galeries photo : les supporters d’un club qui n’a pas joué contre Rennes, Udine et l’Atletico Madrid cet automne en ont fait de belles pour chacune de leur finales de Coupe chéries…

Preuve de cet intérêt “d’en bas” pour l’Histoire du football suisse, le 28 janvier prochain se tiendra au musée du FC Zurich une réunion des personnes intéressées par la fondation d’une communauté de travail informelle sur ce thème. Souhaitons que cette initiative louable puisse donner de l’essor aux recherches historiques footballistiques !

Quelques autres acteurs

Quelques acteurs extérieurs au monde du football jouent aussi un certain rôle dans l’entretien de la mémoire du football. La mise en ligne des archives de la TSR reste un projet encore modeste et on peut espérer que l’offre s’élargira. On y trouve actuellement une dizaine de documents ayant trait à Servette dont quelques beaux derbies lémaniques de l’après-guerre. Schweizer Fernsehen offre sur son site des extraits de presque toutes les finales de Coupe depuis les années 1940.

Des publications d’universitaires sur différents aspects (stades, joueurs africains, professionnalisation…) bénéficient également d’une diffusion sur Internet.

L’Histoire, pour quoi faire ?

Arrivés au terme de ce tour d’horizon, reste la question fondamentale :  à quoi bon remuer ces vieilleries ?  La réponse dépend naturellement des intérêts de chacun et peut varier de la pure passion historique aux simples considérations de marketing. Un antiquaire sportif zurichois cité dans l’article de Zwölf avance que, pour un club, un investissement dans son Histoire est profitable à long terme. Les vieilles gloires, les grands matchs ou les anecdotes sont ce qui fait un club, sont sa marque. Un club de football vit de son Histoire, est son Histoire.

Pour lire l’article de Zwölf (dans la langue de Karanovic, Baumann ou Schlauri) :  Die Geschichte liegt irgendwo im Keller

La semaine prochaine : Y aura-t-il un champion au printemps ? Un triste précédent.

Dernière chronique : L’Histoire du 20ème siècle en 10 leçons avec les joueurs du SFC

Germinal Walascheck

5 réflexions sur « L’Histoire au trente-sixième dessous ? Un plaidoyer ! »

  1. Bravo bel article!

    En parlant de musée: Il ne manque pas juste les photos d’archive, mais vraisemblablement aussi les coupes & trophés? Une partie a été saisie (comme vous le mentionnez), et il semblerait que d’autres ont disparues au fil des années, les présidents ou autres membres du staff les gardant en quittant le club.

    Bref, elle sont où les coupettes??

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