Des fans servettiens sur la pelouse pour soutenir l’entraîneur !

Servette l’a illustré à merveille cette saison : le président est une personnalité incontournable d’un club de football. Parmi ses attributions figure celle, essentielle, du choix de l’entraîneur. Ses décisions à cet égard peuvent lui valoir la reconnaissance du public mais aussi bien souvent de virulentes critiques, voire des manifestations de fans.

Manifestation de soutien à Roger Vonlanthen et contre le président Marcel Righi (2 octobre1966)

Avant d’affronter Lausanne début octobre 1966, le Servette FC est en mauvaise posture : il pointe au dernier rang ! Il a entamé le championnat avec quatre défaites et même si le club a ensuite relevé la tête en battant Granges, les jours de l’entraîneur-joueur Roger Vonlanthen placé à la tête des Grenats en juillet seulement semblent déjà comptés… Les menaces de l’autoritaire président Marcel Righi ne sont pas du goût du public genevois comme le montre cette protestation menée à la mi-temps du derby lémanique. Au coup de sifflet final, des centaines de gosses se précipitent vers le vétéran Vonlanthen, ce sera son dernier match sur la pelouse. Ce Genevois, grand bonhomme du football, légende servetienne, permet à lui tout seul de savourer une généreuse tranche d’un demi-siècle de football.

Marcel Righi, un président à la gestion autoritaire pas goûtée de tous…

Un junior servettien

Né à Genève en 1930, Roger Vonlanthen rejoint avec ses frères les juniors du Servette FC en 1941. Il quitte le club en 1944 lorsqu’il suit Jean Campana à UGS. Après un passage par le Club Athlétique Genevois, il fait ses débuts en Ligue Nationale B avec UGS à 19 ans. Repéré par Grasshopper, il prend le chemin du Hardturm en 1951 en compagnie de son frère aîné Gaston, un solide défenseur qui fera finalement une honnête carrière en LNB. Lui est par contre un attaquant exceptionnellement doué, toujours prêt à filer à grandes enjambées vers le but ou à déséquilibrer les défenseurs d’une feinte du corps. Il fait sa première apparition en équipe nationale en mai 1951, puis après un triplé contre la Hollande, réalise une excellente Coupe du Monde 1954 en Suisse.

Les cahots de la route pour le Calcio

L’Inter Milan souhaite alors acquérir cet attaquant qui figure parmi les meilleurs d’Europe. Ce ne sera pas simple. Dans un premier temps, l’ASFA s’oppose au départ de Roger Vonlanthen en Italie dans la mesure où le professionnalisme y règne et que cela contredit les statuts du football suisse. Les Milanais proposent 250 000 francs au centre-avant helvétique. Roger Vonlanthen décroche toutefois finalement son bon de sortie : son charisme y est pour beaucoup, mais aussi ses projets d’études à l’école Polytechnique de Milan qui fournissent à son départ un alibi acceptable pour les pontes du football suisse. Dans la métropole lombarde, Vonlanthen n’est pas au bout de ses peines : employé dans une entreprise de produits chimiques et immatriculé comme étudiant, il sollicite un permis de séjour. Le Parlement italien s’insurge alors contre l’arrivée de trop nombreux étrangers dans le Calcio, craignant que d’autres sports ne suivent l’exemple du football. Il préconise une limitation puis à terme une interdiction de la présence de ces mercenaires. Sur ordre du gouvernement italien, la fédération italienne refuse sa licence à Vonlanthen pour un an, puis se ravise. A Noël, Vonlanthen fait ses débuts d’Intériste et marque contre Gênes.

Avec le maillot nerazzura

Des intermittences sous le maillot rouge à croix blanche

Roger Vonlanthen restera deux ans à l’Inter, même si cette période est une relative déception, il demeure le meilleur attaquant suisse mais n’est plus aligné en équipe nationale qui ne devait être composée que de joueurs évoluant en Suisse. Pour la saison 1957-1958, il passe à Alessandria et retrouve finalement l’équipe nationale. En octobre 1957, il affronte même ses nouveaux coéquipiers italiens en match amical aux Charmilles en portant un maillot orange fluo de… l’équipe de Suisse. Un épais brouillard recouvrait en effet les Charmilles ce jour-là. Quant aux Italiens, ils ont opté pour une tenue bleue-grise qui force les 12 000 personens à écarquiller les yeux pour les distinguer. On murmure même que les Transalpins jouent à douze ou treize… Vonlanthen marque, la Suisse l’emporte 2:0. Deux semaines après, alors que la Suisse doit se rendre à Glasgow pour un important match des éliminatoires de la Coupe du Monde, Alitalia lui pose un lapin : Vonlanthen annule son vol Swissair persuadé d’avoir une place sur la compagnie italienne mais il apprend qu’il n’en est rien, qu’il est juste sur la liste d’attente. La Suisse s’incline de peu, on parlera de coup monté. Pour ne rien arranger, l’US Alessadria refusera souvent de libérer son attaquant pour les matchs de la Nati. En 1959, Roger Vonlanthen revient à GC, il jouera encore ensuite pour Lausanne. Pour des raisons professionnelles, il renonce à la Nati, mais au printemps 1962, il revient sur sa décision, tenté par la Coupe du Monde au Chili. Il y disputera deux matchs avant de s’arrêter peu après. En onze ans, il aura compté 27 sélections (8 buts).

Le retour de l’enfant prodige

Roger Vonlanthen revient à Genève pour la saison 1963-1964. Le nouveau mentor grenat Lucien Leduc, tout auréolé d’un doublé obtenu avec l’AS Monaco, escompte faire de ce génie de 34 ans le stratège du jeu grenat. Cette année-là, Vonlanthen est souvent blessé, mais après son retour, Servette flirte avec le titre avant d’échouer sur le fil. L’année suivante, les Greants finissent troisièmes puis même seconds en 1965-1966, ils sont battus deux fois de suite en finale de Coupe, des dissensions entre les joueurs et avec les dirigeants auxquelles le « gentil » Lucien Leduc ne parvient pas à mettre un terme empêchent Servette de faire mieux. Suite à la finale perdue contre Zurich où il avait été le meilleur Servettien sur le terrain, Roger Vonlanthen se retire et est intronisé entraîneur des Grenats. Nous revoilà à notre point de départ : Servette perd d’emblée quatre matchs, Roger Vonlanthen rechausse alors les crampons pour insufler ses idées à ses partenaires, cela débouche sur une victoire sur Granges. Deux jours avant le derby lémanique, le Hongrois Bela Guttman était arrivé à Genève, officiellement comme « conseiller technique », mais évidemment prêt à prendre le poste de Roger Vonlanthen. C’est dans ce contexte que 11 000 personnes se pressent aux Charmilles pour marquer leur soutien à Vonlanthen, un homme largement apprécié pour sa droiture et ses qualités humaines.

Bela Guttman, un grand monsieur de 67 ans en provenance de Benfica…

Un derby d’une petite cuvée

Ce dimanche 2 octobre, Bela Guttman, moult fois titré tant comme joueur que comme entraîneur, assiste à un derby lémanique entre deux équipes se morfondant en fin de classement et courant après leur gloire passée. Le spectacle est insipide et se caractérise surtout par une grosse débauche d’énergie. Le SFC ouvre la marque après 20 minutes sur un centre de Schindelholz que le portier Schneider dévie dans ses propres filets puis peu après Lausanne égalise sur un corner de Chapuisat. A huit minutes du terme, un shoot du jeune Allemand Sundermann permet aux Grenats d’emporter le morceau et de se redresser au classement.

Le défenseur servettien Martignano et le Lausannois Luthi

Une fin abrupte

Après cette victoire, Servette se rend en Finlande pour la Coupe d’Europe.  Bela Guttman accompagne les Grenats, Vonlanthen ne s’y rend qu’à titre de joueurs. En apparence, on s’efforce de trouver un compromis, Roger Vonlanthen préfère toutefois une direction unique et refuse de partager le pouvoir avec le Hongrois, le 7 octobre, il jette l’éponge. La suite se joue aux prud’hommes : Roger Vonlanthen considère que son contrat d’un an n’a pas été respecté à partir du moment où la responsabilité totale de l’équipe ne lui incombait plus. En janvier 1967, le tribunal lui donne raison : le SFC doit lui verser son salaire jusqu’à la fin de la saison (23 000 francs) ainsi qu’une indemnité pour tort moral de 25 000 francs. Servette fait appel. En septembre, l’affaire est rejugée : la condamnation à payer le salaire est confirmée mais l’indemnité pour tort moral est levée : les juges considèrent en effet que la publicité faite à l’affaire a surtout permis de faire ressortir une majorité d’appréciations favorables à Vonlanthen qui a par ailleurs retrouvé un emploi « flatteur » et plus qu’honorable sur le banc… du Lausanne-Sports !

Un entraîneur estimé

Malgré sa trop courte expérience sur le banc grenat, Roger Vonlanthen poursuit son cursus d’entraîneur, il entraine d’abord les Princes de la Nuit lausannois puis remplace Peter Pazmandy à la tête du CS Chênois lorsque celui-ci passe à Servette. Fort de son immense crédit et de sa popularité dans toutes les régions du pays, Vonlanthen est appelé à la tête de l’Equipe Nationale en janvier 1977. On attend beaucoup de lui, la Nati se morfond depuis de longues années, on a essayé de galvaniser le patriotisme puis de motiver les joueurs par de relativement fortes primes, rien n’y fait. On le sent en mesure de faire taire les dissenssions entre les différentes régions linguistiques du pays. Hélas, Roger Vonlanthen portera comme un boulet le poids d’une défaite inaugurale contre la France de Platini à Genève (0:4). Entraîneur « moderne », il prône une spécialisation exclusive des joueurs à un poste donné et ne s’oppose pas à ce que les clubs ne mettent parfois pas leurs meilleurs joueurs à la disposition de la Nati. Il essuye bien des critiques et quitte la Nati en avril 1979 déjà avec un maigre bilan de 4 victoires, un nul et dix défaites.  Il reviendra au CS Chênois comme directeur sportif.

Lorsqu’il dirigeait la Nati….

Un dernier geste pour Servette

La grande figure de Roger Vonlanthen est malheureusement rarement associée à Servette, tant il est vrai que c’est avec Grasshoppers (doublé en 1952) et Lausanne-Sports (Coupe en 1962) qu’il a construit son palmarès. C’est néanmoins chez les Grenats que Roger Vonlanthen a été formé, a fini sa carrière de joueur puis commencé celle d’entraîneur. Au printemps 1992, il prendra la tête d’un comité pétitionnaire demandant un nouveau stade pour Genève. Ornée de 12 000 paraphes, elle fut remise au Conseiller d’Etat Claude Haegi juste au moment où le projet de Balexert avait été abandonné… Deux ans auparavant, un autre Servettien avait pris le chemin de l’Italie, il était seulement le quatrième Helvète de l’après-guerre à évoluer dans le Calcio après les Servettiens Fuchs et Vonlanthen et Alleman d’YB : il se nommait Kubilay Turkyilmaz.

Dernière chronique : l’adieu aux Charmilles

La semaine prochaine : A Zurich, les prémices du tourbillon grenat

Jacky Pasteur et Germinal Walascheck

6 réflexions sur « Des fans servettiens sur la pelouse pour soutenir l’entraîneur ! »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.