Pour aborder les redoutables échéances du printemps, le Servette FC pourra compter sur le punch offensif du jeune Jurassien Steven Lang qui a déjà eu l’occasion de faire étalage tant de ses petits dribbles serrés que de ses frappes stratosphériques. Bien avant sa naissance, d’autres Jurassiens avaient brillamment animé durant toute une décennie le compartiment d’attaque des Grenats.
Le vent nouveau de Jean Snella
A l’été 1959, lorsque Jean Snella prend en mains l’équipe servettienne que son prédécesseur Frankie Séchehaye, tout en faisant progresser individuellement les joueurs, n’était pas parvenu à souder, il crée un climat nouveau. Loin de laisser ses joueurs « faire les 400 coups » film qui triomphe sur les écrans, il instaure progressivement un entrainement quotidien et oblige ses joueurs à résider à Genève. Parmi les jeunes qui répondent favorablement à ces nouvelles sollicitations figure un attaquant âgé de 20 ans venu de Moutier : Walter Heuri. Mobile et altruiste, il dévoile de belles promesses mais la saison des Servettiens reste moyenne et se solde par un septième rang final. Alors que la saison se clôt, Servette accueille Nîmes, vice-champion de France, aux Charmilles. La partie débouche sur un net succès (5:2) des Grenats renforcé pour l’occasion par un Jurassien supplémentaire en attaque : Jean-Claude Schindelholz. Introduit en seconde-mi-temps, il séduit d’emblée par son allant. Il regagne finalement son club d’origine, le FC Moutier, mais on le reverra en grenat. Cette jolie victoire de prestige préfigure la saison à venir…
Servette survole le championnat
En dépit d’un certain manque de puissance et de maturité face aux routiniers alémaniques (YB, GC), les jeunes Servettiens se détachent vite en tête du classement lors de la saison 1960-1961. Youri Gagarine vole dans l’espace et les Grenats sont enfin sur orbite. Dans leur frénésie offensive, le public découvre véritablement Walter Heuri, en particulier lorsqu’il se fait l’auteur de 5 buts lors d’une partie remportée 7:0 contre Young Fellows. Avec 16 réussites, il figure en tête des buteurs servettiens, devançant même Jacky Fatton qui, du haut de ses 35 ans, a néanmoins trouvé le chemin des filets à 14 reprises pour signer un nouveau record du total de but inscrit en Ligue Nationale A.
Les renforts zurichois
Giulio Robbiani (GC) et Rolf Wühtrich (FC Zurich) viennent étoffer l’attaque servetienne en vue de préserver le titre de champion et bien négocier la campagne européenne. Ce sont des renforts de poids mais le premier, de par son individualisme, et le second, de par son manque de mobilité, altèrent l’allègre élan offensif dont témoignaient les Grenats la saison précédente. Leur présence permet toutefois de soutenir la comparaison athlétique avec YB et d’enfin envoyer les Bernois au tapis après une attente de plus de cinq saisons. En Coupe d’Europe, Hibernians Malta est laminé mais ensuite Servette s’incline de bien peu contre Dukla Prague non sans avoir battu les Tchécoslovaques, dont beaucoup de vice-champions du Monde, aux Charmilles devant 26 000 spectateurs suite à un match mythique (4:3). Bénéficiant d’un riche effectif, Jean Snella fait tourner les attaquants dont Walter Heuri. Au printemps, Servette décroche Lausanne et s’adjuge un second titre consécutif. L’inusable Jacky Fatton (25 buts) redevient le meilleur canonnier grenat, il n’a rien à envier à Spiderman dont la naissance coïncide avec le sacre des Grenats.

La déception de Mekloufi
La France a signé les accords d’Evian, l’Algérie indépendante est née. Conséquence pour les Grenats : ils sont renforcés en début de saison par Rachid Mekloufi autorisé à revenir en France mais encore dans l’attente de sa qualification officielle à Saint-Etienne. Servette ne réussit pas la passe de trois. Alors que l’on attendait beaucoup de la vista et de la promptitude de l’Algérien pour lancer les attaquants grenats, Servette est bien vite décroché au classement. Son départ est compensé par l’arrivée du Français Bernard Rahis mais la sauce ne prendra jamais. Servette finit au cinquième rang. Snella s’en va. Il faut tout reconstruire. Walter Heuri, sélectionné au printemps avec la Nati contre la Hollande (1:1), décroche un diplôme d’ingénieur avec un classement meilleur que celui des Servettiens…
L’arrivée de Schindelholz
Au technicien Jean Snella succède le débonnaire Lucien Leduc. En attaque, le Prêvotois Jean-Claude Schindelholz, mécanicien de précision, fait son apparition. La concurrence est à nouveau très rude : les espoirs locaux Desbiolles et Bosson ont percé, les Hongrois Nemeth et Makay sont des valeurs sûres redoutables, Walter Heuri est toujours là de même que Bernard Rahis. Au cours de la saison toutefois, Rahis jette l’éponge et Makay est en froid avec l’entraineur. Schindelholz saisit l’opportunité de s’imposer sur l’aile de l’attaque servetienne mais c’est un autre Jurassien qui scelle le sort du championnat : en égalisant pour Young Boys à trois minutes du terme au Wankdorf contre Servette, André Daïna, fraîchement diplômé ingénieur-chimiste de l’Université de Neuchâtel, prive les Grenats d’un titre qui leur tendait les bras, La Chaux-de-Fonds tire alors les marrons du feu. Consolation pour Schindelholz : le natif de Courrendlin est titularisé avec la Nati et étrenne son maillot rouge à croix blanche d’une superbe reprise de volée contre la Belgique le 15 avril 1964 devant 25 000 spectateurs ravis aux Charmilles. Ca roule pour lui de même que pour la Ford Mustang lancée le surlendemain !

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Servette recrute ses bourreaux
Cette défaite du Wankdorf a apparemment laissé des traces dans l’esprit de Lucien Leduc : Servette fait venir deux des artisans de cette traumatisante défaite bernoise : André Daïna et Toni Schnyder. Daïna, originaire du Val-de-Travers dans le Jura neuchâtelois, fils de bûcheron, quitte néanmoins sans regrets le club de la Ville fédérale : les méthodes d’entraînement à grand renfort d’haltères et de tours de piste ne lui plaisent guère et il se réjouit de renouer avec le ballon ! A Genève, d’aucuns s’interrogent : était-il vraiment indispensable d’aller chercher un nouvel avant-centre à Berne alors que le Genevois Michel Desbiolles (23 buts) venait d’être sacré meilleur buteur de LNA ? Toujours est-il qu’un duo jurassien Schindelholz-Daïna occupe les avant-postes tant au SFC qu’en équipe nationale. Walter Heuri est convoité par plusieurs clubs mais Servette le retient. Chaque poste de l’attaque est ainsi doublement pourvu. Schindelholz et Daïna marquent chacun un but contre l’Atletico Madrid (2:2) mais Servette est atomisé au match retour (6:1). Remplaçant de luxe à Madrid, Heuri ne va pas tarder à être prêté au FC Bienne. Les doutes sont énormes sur l’apport des renforts de l’intersaison. Au printemps, les intenables crochets de Schindelholz ouvrent la voie de la finale de la Coupe contre Young Boys (2:0). Quant à Daina, au moment des premiers raids US sur le Nord-Vietnam, il est victime d’un choc violent en Israël avec la Nati et fait cruellement défaut à un moment décisif du championnat. Il revient pour terrasser le leader Lausanne-Sports de sa puissance retrouvée une belle après-midi de mars devant 20 000 personnes qui l’acclament. Au Wankdorf, Schindelholz n’a pas le rendement espéré face à la rugueuse défense valaisanne, il tire une fois sur le poteau et le FC Sion entame son flirt monomaniaque avec la Coupe de Suisse malgré un but de Daina dans les ultimes minutes (2:1). Troisième en championnat, Servette a été miné par des dissensions entre les joueurs. Abondance de biens nuit peut-on dire en contemplant la liste des attaquants…

Nouvelle désillusion en Coupe
Lorsque s’ouvre la saison 1965-1966, Waler Heuri a été définitivement cédé à UGS qui vient d’accéder à la LNA, il est trop pantouflard au goût de certains. A la pointe de l’attaque, un espoir du cru se met en évidence : Jacky Bédert. André Daina se morfond avec les réserves du SFC mais retrouve sa place lorsque le jeune Bédert revêt sa livrée vert-de-gris. Au printemps, Bedert et Daina sont souvent associés en attaque, avec en prime Schindelholz et Nemeth. Ce quatuor ouvre le chemin de la finale de la Coupe aux Grenats lors d’une belles victoire obtenue à Bâle (0:2). Le lundi de Pâques accouche d’une nouvelle désillusion servetienne : les latéraux zurichois cisaillent les chevilles des ailiers grenats Schindelhlz et Nemeth, Daina, en proie au doute, manque de venin. Dès l’échauffement, en scandant le nom de « Bédert » les supporters genevois lui avaient fait savoir à qui allait leur préférence… Opportuniste, Zurich cueille un succès 2:0 qui vaut à Lucien Leduc de vives critiques sur el manque de condition physique de ses protégés. En fin de saison, les jeunes Kvincisky et Conti s’imposent à la pointe de l’attaque. Servette, avec sa pléthore d’attaquants, finit second. Grand artisan de la qualification suisse pour la Coupe du monde en Angleterre, l’infortuné Schindelholz, sportif jurassien de l’année, connait l’habituel traitement que lui vaut son statut d’ailier vif et insaisissable : la défense allemande le rudoie d’emblée hypothéquant la suite de son tournoi. Il ne lui reste plus qu’à méditer The Sound Of Silence…
Le retour d’Heuri
Appelé aux commandes en tant qu’entraîneur-joueur, Roger Vonlanthen fait revenir un certain nombre d’enfants perdus du SFC dont Walter Heuri. Daina lui retourne dans son canton d’origine pour prêter main-forte au FC Xamax en LNB. Le début de saison se passe mal pour les Grenats. Vonlanthen est remercié au grand désarroi du public. A Amsterdam, les provos squattent Vondelpark tandis qu’à Rotterdam les provocateurs sont les footballeurs du Sparta : par une sombre soirée d’octobre ils débarquent aux Charmilles dans la ferme intention d’en découdre rudement avec les Grenats. Un des plus maousses, Buitendyk a trouvé sa victime toute désignée : le virevoltant Jean-Claude Schindelholz. Un ange-gardien devait veiller sur le Jurassien ce soir-là : violemment agressé par Buytendik, il retombe sur ce dernier et …. lui brise la jambe. Peu avant, le Hollandais Ter Horst, visage en sang, avait été transféré à l’hôpital en ambulance. Alors que les médecins lui enjoignent le repos, il s’évade en taxi en direction des Charmilles et revient en jeu à cinq minutes du terme des idées de carnage en tête. L’arbitre italien perd totalement les pédales et expulse le plus doux des 22 acteurs : Walter Heuri qui entre ainsi dans l’Histoire avec le douteux privilège d’avoir été le premier servettien expulsé en Coupe d’Europe. Les Servettiens l’emportent logiquement 2:0 grâce à deux buts de Schindelholz et préserveront leur avantage au match retour. Peu après, les Servettiens ne font guère mieux qu’un piètre match nul contre le cancre de LNA Moutier. A noter que dans les rangs prévôtois figurait un certain Guy Mathez, futur entraîneur du Servette FC et que Walter Heuri, père du joueur grenat, figurait parmi les membres du comité du FC Moutier. La saison se poursuit en dent de scie avec une élimination contre Sofia en Coupe d’Europe et une 5ème place en championnat. Schindelholz souhaite partir, Servette retient le chouchou du public.
Lire aussi notre chronique : https://enfantsduservette.ch/2012/05/04/des-fans-servettiens-sur-la-pelouse-pour-soutenir-lentraineur/
La fin d’une ère
Le Torrey Canyon souille les côtes anglaises, on découvre l’expression « marée noire », à Genève, les Jurassiens de l’attaque, eux, broyent du noir : Snella est revenu mais Servette ne renoue pas avec sa grandeur du début de la décennie, Heuri passe désormais le plus clair de son temps avec les réserves, Schindelholz joue encore mais est sur la selette. A la fin de la saison 1967-1968, Servette est onzième. L’année érotique de Serge Gainsbourg n’est guère plus affriolante pour les Grenats qui sont bien loin de décrocher la lune : élimination rageante en demi-finale de la Coupe contre Saint-Gall, profondeurs du classement en championnat. Heuri et Schindelholz ne font plus que de sporadiques appartitions. Un cycle s’est clos. Exit les sixties.
Epilogue
En 1971, Servette remporte la Coupe, Schindelholz est encore dans l’effectif mais il ne joue plus, il va bientôt partir à Vevey… Peu auparavant, Walter Heuri s’était rendu …. à la Praille. Mal lui en a pris : un arc électrique imprévu provoque un incendie dans une sous-station électrique, l’ingénieur des Services Industriels est brûlé au visage et doit être conduit à l’hôpital. Quant à André Daina, les crampons raccrochés, il se lance dans l’arbitrage. Son ascension est fulgurante : il s’impose en peu d’années comme le meilleur arbitre du pays même si les Grenats contesteront toujours cette affirmation : ne s’est-il pas vulgairement laissé abuser par un plongeon de Jara des Grasshoppers lors du match d’appui pour le titre en 1984 ? Deux ans plus tard, il aura encore le douloureux honneur d’arbitrer la tragique finale de Coupe d’Europe au Heysel entre la Juventus et Liverpool. Là aussi, un pénalty gracieusement accordé scellera le résultat d’un match que les Scousers ne pouvaient décemment pas gagner.
A Steven Lang maintenant d’écrire maintenant sa propre histoire…

Jacky Pasteur et Germinal Walascheck
Dernière chronique : Grosdidier, Pelikaan, Talew, Boully, Barroca: bienvenue dans la mini-famille des gardiens étrangers du SFC !
La semaine prochaine : Joyeux Noël et pas de cadeaux…
bravo pour ce magnifique travail. on se rappelle bien de Schindou
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Oui, je n’ai d’ailleurs peut-être pas assez insisté sur le fait que c’était un des joueurs les plus spectaculaires de la décennie, « notre Garrincha », dommage que son palmarès soit resté quasiment vierge, mais sans doute est-ce le lot de ce type d’attaquant…
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Chronique une nouvelle fois magnifique. Germinal est-il insomniaque? Le doute est permis ;-).
Bravo pour le travail titanesque que tu réalises! Amitiés.
RAMS
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Je compense ainsi mes lacunes informatiques…
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Je confirme, incroyable article.
Géographiquement c est juste, mais pas cantonalement parlant!
Moutier se trouvant dans le canton de Berne!
A+ pour de nouvelles aventure!
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Serey Die va au FC Bâle
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Emegharra vers dusseldorf
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HS: enfin des nouvelles sur le mur de la solidarité sur le site off…
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HS aussi mais un lien intéressant (malheureusement seulement en allemand) sur différentes statistiques sur le football suisse (nombre de joueurs formés au club, origine des étrangers, etc.)
Cliquer pour accéder à 621_News.pdf
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Ouais, faut vraiment être insomniaque pour aller se perdre sur Radio Rottu 🙂
Magnifique travail d’investigation agrémenté de références historiques ! Chapeau bas et vivement la même rubrique avec les Valescos.
Bonne continuation.
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Il y en a eu, tu es certain ? Pas entendu parler…
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