Servette échappe de justesse à la faillite…

Même si les choses se précipitent ces dernières années, les faillites ne sont pas quelque chose de tout à fait nouveau dans le ciel servettien. Dans le contexte actuel, il est sans doute intéressant de regarder comment Servette s’était une première fois tiré de la panade financière dans laquelle l’avait précipité un président mégalomane (qui n’était pas Marc Roger !) et qui a fini en prison (et qui n’était pas …).

Mai 1934, Servette est champion suisse pour la seconde année d’affilée. Plusieurs Grenats partent alors pour l’Italie où la Suisse participe à sa première Coupe du Monde. Puis, dès fin juin, les Grenats vont étrenner leur titre de champion 1934 en Suède. Un voyage de trois semaines leur permet de rencontrer plusieurs adversaire locaux pour une tournée dite « de propagande ». La plupart des confrontations tournent à l’avantage des Grenats, emmenés par Karl Rappan. Le 25 juillet, rue Petitot, dans un local de la Bourse trop exigu au vu de la participation de plus de 200 membres, se tient l’assemblée générale ordinaire du grand club grenat. Le président en charge, élu l’année précédente, Maurice Herren, passe en revue dans une atmosphère vibrante les brillants résultats des footballeurs grenats durant l’année écoulée. Les nouvelles des autres sections (tennis, basket et hockey) sont également réjouissante. Quelques modifications statutaires sont adoptées à l’unanimité et le comité pour les trois années à venir est accepté en bloc. Outre Maurice Herren, Charly Kellermuller, ancien joueur, est également reconduit comme vice-président, il  avait été la cheville ouvrière de la professionnalisation du club, encouragée par l’ASFA dès le début de la décennie 1930.

Un mois d’aoùt orageux

En août,des créanciers toujours plus nombreux se manifestent à la porte du Servette FC. Le club prie par voie de presse les porteurs de ses carnets de tombola de s’activer dans la vente, le tirage est prévu pour fin octobre et le président Herren souhaite que les sommes de la vente lui soit versée avant fin septembre. Se doute-t-il, lui dont les annonces remplissent l’essentiel des pages immobilières du Journal de Genève, qu’il ne sera bientôt plus en place ? L’état de délabrement financier de Servette n’est plus un secret pour personne, une assemblée extraordinaire est agendée pour le 21 septembre 1934.

L’émergence d’une Commission de gestion

Le vice-président Henry Bret expose tout d’abord ce qui a conduit à la tenue de cette assemblée extraordinaire puis monsieur Gabriel Bonnet fait un rapport sans concessions sur la situation financière du club et de la Société immobilière du Servette FC et propose des mesures d’urgence. Cet ancien président du Servette FC (1915- 1927) entretemps passé à la FIFA, propose un plan de réorganisation. L’euphorique assemblée du mois de juillet est déclarée nulle. Une Commission de gestion est mise en place, outre Gabriel Bonnet, d’autres anciens présidents reprennent du service en son sein : Fred Greiner (1927-1928), Edouard Fulliquet (1931-1933) ou encore Fernand Lilla (1928-1929). Il leur incombe de mesurer l’ampleur du désastre et de conserver à Genève son grand club. Les Messieurs Hentsch (tiens ! tiens!) leur seront d’un grand secours.

230 000 francs de dettes !

La commission se met donc à l’oeuvre et découvre que le club a déjà accumulé 230 000 francs de dettes (une jolie petite fortune pour l’époque !) suite à des dépenses inconsidérées. Elle avance également de l’argent pour permettre au club de poursuivre sa route (il n’y avait pas de journalistes pour leur tendre le micro mais les joueurs auraient sans doute déclaré qu’ils se concentraient sur le football, ils n’avaient d’ailleurs pas été battus depuis le reprise du championat !). Avec l’aide de la famille Hentsch, on procéda à l’assainissement d ela société immobilière, on négocia des sessions de créances et on paya ce qu’il était possible de payer pour aller de l’avant. Les joueurs, pour l’essentiel, restent fidèles au club malgré des retards dans les salaires.

L’étau se déserre

Fin mars 1935, ce sont 200 membres anxieux qui se rendent à une nouvelle assemblée générale extraordinaire. Gabriel Bonnet annonce alors que les membres du comité directeur (seul l’inamovible trésorier Paul Brunner était resté fidèle au poste) avaient tous accepté de renoncer à réclamer quoi que ce soit et leur démission est votée à l’unanimité. Il continue en annonçant que, malgré l’avance financière que la Commission de gestion avait dù verser en début, les comptes étaient équilibrés. De par la liquidation des créances des membres du comité, la commission de gestion va désormais pouvoir s’attaquer au problème des dettes courantes et entamer des pourparles avec les créanciers et parallèlement renflouer la société immobilière avec une solution qui se dessine. Il escompte une situation assainie en fin de saison et un passage de témoin à un comité régulièrement élu. Soulagement général.

Un dernier sacrifice

A la fin de la saison 1934-1935, Servette est deuxième, à un misérable petit point du Lausanne-Sports. La Commission de gestion gère toujours le club et s’oppose à une tournée dans les Balkans, Karl Rappan et l’équipe font la sourde oreille et appareille vers la Turquie puis la Yougoslavie.Mi-juillet, le club se débarasse d’un des joyaux de la couronne : l’Autrichien Ignaz Tax, vendu 50 000 francs à l’AS Saint-Etienne. La situation financière reste précaire et lors de l’assemblée générale du 19 jullet, la Commisison de gestion voit son mandat prolongé de deux mois.

Servette réorganisé

Le 20 novembre 1935, une assemblée extraordinaire du Servette FC est convoquée. Le club voit le bout du tunnel, la situation financière est assainie, il ne reste que quelques créances minimes et la Commission de gestion dépose son mandat sous les acclamations. Gustave Bétemps, qui en avait été membre et servettien de longue date, prend la présidence du club, c’est le retour à la normale. Le club se dote d’une commission des supporters dirigée par Monsieur Wieland, à eux d’apporter le soutien moral nécessaire au club. Une commission des recettes est également créée, à elle de voir comment ramener le public au stade alors que la concurrence des sports d’hiver fait rage !

Bref, les anciens présidents ont sauvé le club, une leçon à méditer lorsque l’on voit les effets de manche et le mépris affiché par un ancien président servettien « actif » dans la situation actuelle du club !

Un épilogue judiciaire

Maurice Herren, le président par lequel le désastre évité de justesse est arrivé, est le fils d’un célèbre notaire de la place genevoise. Actif dans l’immobilier, corpulent et débonnaire, il joue volontiers au mécène, pour le Servette FC, mais aussi pour les Ménestrels, une association d’aide aux musiciens chômeurs. Paternaliste, il convie les joueurs à de plantureux banquets en sa compagnie. Ses déboires avec Servette ne sont que le début de sa chute. Le 27 avril 1939, il est condamné, après 14 mois de préventive, à une peine de six ans de prison pour escroquerie. Il apparaît que dès la fin des années 1920 toute sa comptabilité était truquée mais que sa réputation et le volume de ses affaires lui avaient permis de maintenir les illusions en profitant toujours de rentrées d’argent frais. En prison, il a notablement maigri, la presse ne reconnaît plus le « bon gros » qui avait égayé les abords des terrains genevois si longtemps. Et pour beaucoup, il restera celui qui a mené Servette au titre de champion de Suisse.

Même si l’espace se dilate (Dubaï, New York, Paris…) et que le temps se comprime (délai de quelques jours…), l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement.

La semaine prochaine : si possible, du football…

Dernière chronique : Les joueurs du Servette FC ont-ils assisté à l’inauguration de la première patinoire de Genève ?

Comme le  match contre Lucerne aura finalement lieu, vous aurez peut-être du plaisir à relire deux chroniques liées au club de Suisse centrale :

–          battre Lucerne et devenir champion

–          Deux fois meilleur buteur avec Servette avant de partir à Lucerne :  John Eriksen

Jacky Pasteur et Germinal Walascheck