Leduc voit rouge

Archi-dominateur dans le monde du football suisse au début de la décennie 1960, le Servette FC sera lentement décroché au fil de la décennie. Ce ne fut pas faute d’avoir essayé de se maintenir au sommet mais entre transferts ratés, incompatibilités de personnes et une certaine dose de malchance qu’illustre un match disputé au Letzigrund contre le FC Zurich, le Servette FC ne parvint pas à reconquérir sa couronne.

En tête à l’issue du premier tour

A l’aube de la saison 1963-1964, les Grenats ne sont plus coachés par le grand Jean Snella parti à Saint-Etienne. Son successeur, le Français Lucien Leduc, arrive, en principe pour 5 ans, fraîchement auréolé d’un doublé décroché avec l’AS Monaco. Le Servette FC boucle le premier tour du championnat en tête du classement avec deux longueurs sur La Chaux-de-Fonds et Granges. A la reprise, ils laisssent toutefois les Meuqueux de l’entraîneur joueur Skiba, plus agressifs, empocher la totalité de l’enjeu aux Charmilles. Ainsi, les positions se resserrent, d’autant plus que Lausanne-Sports et le FC Zurich pointent désormais aussi le bout de leur nez au classement. Les Grenats doivent alors se rendre au Letzigrund…

Zurich demi-finaliste européen

Champion sortant, le FC Zurich réussit cette saison-là un parcours européen digne d’éloges : il vient de se hisser en demi-finale en ayant réussi à prendre la mesure des Hollandais d’Eindhoven le mercredi précédent. Les séquelles de cette rencontrée engagée affleurent dès les premiers instants de la partie : mauvaises passes et imperfections techniques de Köbi Kuhn et de ses coéquipiers laissent présager le pire aux 9300 spectateurs d’un stade du Letzigrund où le ciel vole bas et laisse filtrer un vague rideau de pluie. Résolus à nier l’évidence d’une certaine lourdeur qui semble coller à leurs semelles et à leur esprit, les Zurichois se font manifestement violence pour retrouver un moral de vainqueurs : sur un très long dégagement de leur défense, l’Italien Martinelli se saisit du ballon en pleine course lorsqu’il est fauché par le défenseur grenat Kaiserauer. Sur le coup-franc qui s’ensuit, un éclair de Brodmann jaillit dans les filets du portier grenat René Schneider. La rencontre est à peine entamée, le premier signe du destin est en faveur des Zurichois.

Ouverture du score pour le FCZ

Servette prend l’ascendant

Face à cet adversaire usé d’emblée mais besogneux et déterminé, les Servetttiens ne tarderont guère à imposer leur tempo. Alors que les Zurichois sont désormais recroquevillés en défense, les triangulations de Bosson, Desbiolles et Schaller assurent le spectacle. Ce dernier égalise bien vite sur un service du second puis récidive l’instant d’après mais l’arbitre bâlois monsieur Heymann vient à la rescousse du FCZ en annulant la réussite pour un hors-jeu fort peu évident.

Brodmann devance Desbiolles

Les Zurichois, par instants moribonds, savent néanmoins se regrouper dans leur surface de réparation pour éviter le naufrage qui se profile. A chaque assaut des Grenats, ils semblent avoir égrené leurs ultimes forces, mais, dans un sursaut plein d’abnégation repartent à l’offensive et sur une tête de l’Allemand Sturmer, René Schneider, fautivement pantois, s’incline une seconde fois. Essoufflés, les Zurichois concèdent une rapide égalisation lorsque Schindelholz reprend juste devant le but un centre de Desbiolles. Peu avant la pause, des Zurichois au bord du gouffre concèdent un dangereux coup franc lorsqu’ils stoppent Vonlanthen. Schindelholz renvoie l’ascenseur en servant idéalement Desbiolles qui donne pour la première fois l’avantage à ses couleurs. Suite à cette première mi-temps menée tambour battant, les Grenats, supérieurs techniquement, semblent largement en mesure de s’imposer.

Reprise de volée racée de Schindelholz

Coup de théâtre à l’ultime minute

La seconde mi-temps est du même tabac que la première : Servette, mieux organisé et plus frais, donne le ton. Zurich vit un calvaire mais la réussite fuit les Grenats. Asphyxiés, les Zurichois refont toutefois surface lorsque, servi par Leimgruber en profondeur, Martinelli égalise peu après l’heure de jeu.

L’égalisation de Martinelli

Servette ne désserre pas l’étreinte et, à 10 minutes du terme, Desbiolles, sur une nouvelle passe de Schindelholz, redonne l’avantage aux Grenats. L’arbitre annule cependant à nouveau cette réussite servettienne pour  hors-jeu ce qui a le don de mettre le coach servettien Lucien Leduc hors de lui. La partie, disputée très sportivement, dégénère légèrement : Nemeth se venge sur un Zurichois après avoir été victime de deux fouls consécutifs non-sifflés et se fait avertir. Alors que l’on s’achemine vers un match nul rendant justice à l’abnégation zurichoise et à la maestria servettienne, les Zurichois sont comme saisis d’un spasme offensif : Martinelli contraint Schneider à une magnifique détente à trois minutes du terme puis les Zurichois portent à nouveau la balle vers l’avant et d’un tir qui ressemble plus à un dégagement désespéré, Brizzi crucifie Schneider. Zurich empoche sur le fil la totalité de l’enjeu d’une partie émouvante jalonnée d’effondrements subits alternant avec des déchaînements offensifs et dont le dénouement était inattendu et cruel pour Servette. Au final, c’est La Chaux-de-Fonds tire les marrons du feu en s’emparant seul de la tête du classement.

Bien des questions…

Du côté servettien, cette amère défaite se conjugue avec bien des points d’interrogation. Alors qu’elle était la plus imperméable du pays après le premier tour, la défense servettienne a capitulé en 7 occasions lors des deux matchs de la reprise. Une reprise en main s’impose et c’est le gardien René Schneider, relégué dans l’équipe des réserves au profit de Bruno Farner qui en fait les frais. Autres vieilles gloires sur la sellette : les Hongrois Pazmandy et Makay. Remplacés par Meylan et Schaller, ils font les frais du long différend qui les oppose au « gentil » Lucien Leduc et aux responsables servettiens. Dès l’été 1963, ces deux joueurs avaient manifesté le désir de voir leur rémunératio portée au niveau de celle de leur compatriote Nemeth. Devant le refus de la direction servetienne, ces réfractaires traîneront les semelles tout au long de la saison, avec un point culminant lors d’une défaite contre Granges début septembre où, passé le premier quart d’heure,  ils s’étaient contentés de trottiner. Globalement, Il apparait souvent que le technicien français, désorienté par le semi-professionalisme régnant en Suisse, n’est pas en mesure d’imposer ses volontés à des joueurs souvent désireux de couper aux rigueurs de l’entraînement sous divers prétexte. Depuis la reprise, lex-international français Bernard Rahis, acheté 80 000  francs à Nîmes, en principe l’un des plus doués dans l’effectif grenat, a disparu du groupe, victime d’un délètère cocktail de blessures, démotivation et incompatibilités d’humeur. Le président Righi, échaudé, annonce qu’il renoncera désormais à engager de grosses pointures étrangères…

Inconstants et malchanceux jusqu’au bout

Après le malheureux coup d’arrêt du Letzigrund, Servette se ressaisit en remportant six des sept matchs suivants et pointe à nouveau au premier rang. Les deux buts que les Grenats concèdent dans les ultimes minutes au Wankdorf contre Young Boys permettent toutefois aux Chaux-de-Fonniers de reprendre la première place à trois journées du terme. Les Meuqueux ne lâcheront plus leur os et une inutile défaite concédée lors de l’ultime journée à Lucerne contraint les Grenats à se contenter d’un quatrième rang final derrière Zurich et Granges.

Jacky Pasteur et Germinal Walascheck

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