Rivalité quand tu nous tiens…

SFC-Sion

Comment le FC Sion et le Servette FC en sont-ils arrivés à devenir les meilleurs ennemis du football romand ? Si les aspects purement sportifs ne doivent pas être négligés, cette rivalité plonge ses racines dans un antagonisme plus vaste fidèlement retransmis dans les gradins des deux camps de décennie en décennie.

Années 1960 : le coup de tonnerre de la finale de la Coupe

Le chemin du FC Sion vers l’élite du football suisse a été poussif : ce n’est que plus de 50 ans après sa fondation que le club valaisan poussait enfin les portes de la LNA à l’occasion de la saison 1962-1963. La première exhibition du néo-promu à Genève (défaite 6:0, cf. notre chronique naissance DU derby avec un sextuplé servettien) n’a guère attiré qu’une chambrée de 6’000 curieux, un chiffre à mettre en regard de la foule de 27’000 personnes accourues voir le match Servette-Lausanne deux semaines plus tard pour mesurer à quel point, pour les esprits servettiens de l’époque, derby rimait avec Lausanne (ou encore plus tôt UGS). Les premières années des Valaisans en Ligue Nationale sont marquées par des luttes victorieuses contre la relégation d’une équipe „sympathique et courageuse“ mais sans guère d’ambitions plus élevées. Pierrot Georgy, Sierrois, passé de Sion à Servette en 1961 au moment où il a gagné Genève pour y entamer ses études universitaires relevait déjà à cette époque une forte différence de mentalité entre un public genevois qui allait au stade pour y voir un spectacle, prêt à siffler en cas de déception mais finalement un peu indifférent au résultat et un public valaisan peu porté sur la manière, toujours prêt à soutenir son équipe et souhaitant avant tout une victoire. Servette, dont l’effectif est le plus souvent pléthorique, n’hésite pas à laisser partir certains de ses éléments dans le Valais (Mantula, Meylan, Roesch,..) quitte à les reprendre par la suite (Barlie, Bosson…) si le besoin s’en fait sentir. Dans ce contexte de disproportion des effectifs, la finale de la Coupe de Suisse 1965 semble acquise aux Grenats mais, à la surprise générale, des Sédunois plus concernés et plus combattifs mettent pour la première fois le grappin sur le trophée Aurèle-Sandoz. Groggys, les Servettiens ne se doutent peut-être pas encore qu’ils n’ont pas encore fini de manger leur pain de seigle contre le petit club sédunois toujours prêt à leur occasionner bien des misères…

Supporters valaisans sur le chemin du Wankdorf (1965) : aux Genevois la modernité, aux Valaisans les lots de consolations ! (www.fcsion4ever.com)
Supporters valaisans sur le chemin du Wankdorf (1965) : aux Genevois la modernité, aux Valaisans les lots de consolations ! (www.fcsion4ever.com)

Années 1970 : la rivalité prend corps sur fond de déséquilibre de moyens

Au cours de la décennie 1970, Sion reste une équipe de seconde zone même si elle décroche une seconde Coupe de Suisse en 1974 contre des Xamaxiens un peu trop persuadés de l’emporter. Dès le milieu de la décennie, Servette, lui, a le vent poupe : s’appuyant sur de solides moyens financiers, le club s’offre un recrutement de luxe dont pâtit le FC Sion qui voit partir plusieurs figures de proue : Umberto Barberis, Jean-Yves Valentini, Serge Trinchero… Peu après, Gérald Coutaz va finir ses études de dentiste à Genève. Les rencontres entre Servette et Sion sont communément intitulées « Sion 1 contre Sion 2 ». Les Grenats jouent le titre chaque saison alors que les Valaisans végètent au classement, ressentant les emplettes servettiennes comme une vexation. Le déséquilibre de moyens qui se constatait dans le football n’était par ailleurs que le reflet d’une asymétrie socio-économique plus large ayant contraint bien des Valaisans à quitter leur canton chéri pour venir étudier ou travailler à Genève alors que dans le même temps des Genevois aisés pouvaient se porter acquéreurs de chalets en Valais. Pour caricaturer et outrer cette typique rivalité ville-campagne, il y aurait donc d’un côté une population friquée, hautaine et arrogante, pillant et colonisant à tout va et de l’autre un ramassis d’alcooliques consanguins aux agrestes activités tout juste bons à sucer les subventions fédérales et à gruger les autorités fiscales. Ces années-là, de premiers incidents se déroulent entre spectateurs valaisans et supporters servettiens en déplacement à Tourbillon. Un ancien du Servette Fan’s club, dont le premier déplacement à Tourbillon en hiver 1978 n’avait laissé que le souvenir de la petite tête violette avinée d’un Michel Dénériaz qui avait pris trop au sérieux la dégustation des produits locaux, se souvient avec plus de netteté de son second voyage : « en 1979-1980, c’était le déplacement pour la demi-finale de la Coupe. Quand on est sortis du car, il y avait ces regards de haine, voilà ces grandes gueules de Genevois qui nous piquent nos joueurs ! Haine et insultes c’était vraiment très chaud, on se disait heureusement qu’on a perdu, sinon il se serait passé quoi ? Il faut dire qu’il y avait le contexte, une place en finale et le fendant avait coulé à flots, ce qui rajoute à toute cette tension. » Dans la tribune sud de Tourbillon, les fans grenat se retrouvent à proximité de partisans du FC Sion. Alcool aidant, cette promiscuité débouche sur des provocations puis des bagarres, le déplacement à Sion devient un moment chaud de la saison même si les médias ne se font pas encore écho de débordements.

Années 1980 : le FC Sion montre les crocs

A l’aube des années 1980, l’exode des footballeurs de talent de Sion vers Genève se poursuit : les prometteurs Alain Geiger et Jean-Paul Brigger troquent le maillot rouge et blanc pour la tunique grenat au début de la présidence Lavizzari. Cela n’empêche nullement le FC Sion de s’affirmer peu à peu comme une des redoutables formations du championnat de Suisse. A la Pentecôte 1986, Servette a le malheur de devoir à nouveau affronter le FC Sion en finale de la Coupe à l’issue d’une saison ratée. La victoire des Valaisans se nourrit encore de l’imaginaire d’une équipe volontaire « familiale », composée d’ »amateurs » prenant sa revanche sur des sénateurs grassement payés, mais le FC Sion n’est plus tout à fait le Cendrillon de 1965… Tout au long de la partie, Lucien Favre (auteur d’un joli gri-gri sur le premier but) est conspué par le public valaisan. Joueur talentueux au caractère bien trempé, diva capricieuse au salaire mirobolant pour les autres, il symbolise tout ce que certains peuvent abhorrer dans l’image du Servette FC de ces années-là. Au micro de la TSR, interrogé par Pierre Tripod, Bertine Barberis opine dans un silence qui à valeur d’acquiescement : « le public est connaisseur. » La même année, il se murmure que le président sédunois André Luisier serait entré dans le vestiaire de l’arbitre à la mi-temps pour infléchir le cours d’une partie mal emmanchée pour ses couleurs contre Servette, prenant appui sur le bouillant appui du public de Tourbillon…

Chez les supporters des deux camps, la rivalité haineuse n’amorce donc pas de décrue mais avec le drame du Heysel peu après la finale de la Coupe de Suisse, elle voit apparaitre un nouvel élément : la sécurisation des stades. Ainsi, la saison suivante, lorsque le FC Sion abandonne son trophée sur la pelouse des Charmilles, ses fans ont l’honneur d’inaugurer le secteur visiteur dûment grillagé de l’enceinte des Grenats. Tourbillon se dotera également d’un tel dispositif au début des années 1990, endiguant certes la confrontation directe physique dans le stade, mais impuissant face aux jets d’objets et altercations aux alentours, y compris à Genève désormais où certains partisans grenat veulent aussi « faire la loi ».

Années 1990 : les ultras

Servette n’est plus que l’ombre de ce qu’il était quelques années plus tôt mais des footballeurs doués tels que Christophe Bonvin ou Marco Pascolo quittent toujours Tourbillon pour les Charmilles persuadés que l’herbe y est plus verte. C’est pourtant le FC Sion qui décroche son premier titre (1992), sur la pelouse des Charmilles de surcroît et au grand dam du kop genevois qui n’avait cessé de clamer depuis la saison précédente « Sion, champion, ce n’est qu’une illusion ! ». Par leurs banderoles, les supporters grenat s’efforcent de gâcher la joie des Valaisans (« le champion suisse est un réfugié Tamoil »), brodant sur l’éternel thème d’un Valais arriéré. Ce mode opératoire est appelé à se développer au fil de la décennie car, dans les tribunes, la frange la plus remuante des fans s’appelle désormais les ultras. Mieux organisés que leurs prédécesseurs, ils assurent une animation d’un nouveau genre dans le stade, rivalisant à grand renfort de tifos, spectacles pyrotechniques, chants et banderoles. Les matchs contre le rival rhodanien sont toujours le théâtre d’efforts particuliers à ce niveau. Parallèlement, les confrontations violentes croissent autour des stades de Suisse. Relayées par les médias, celles se déroulant en marge des rencontres entre Servette et Sion gagnent également en intensité et deviennent une sorte de passage obligé pour les deux camps.

Aux Charmilles (mai 1991)
Aux Charmilles (mai 1991)

Sur le plan sportif, la finale de la Coupe perdue en 1996 à la raclette, suite à un but dont la validation devait avant tout à la présence de 30’000 Valaisans dans le stade qu’à la correction de la charge de Vidmar sur Barea, ne réconcilie naturellement pas les fans grenats avec leurs homologues de la vallée du Rhône. Sur les ondes romandes, les buts servettiens sont accueillis par une soupe à la grimace contrastant furieusement avec l’allégresse provoquée par les fantastiques buts sédunois, dont le troisième à propos duquel Pierre-Alain Dupuis soutiendra mordicus qu’il n’y avait pas faute…

Par la suite, avec l’arrivée de Canal+, Servette s’offre à nouveau un peu de shopping valaisan (Lonfat, Fournier…) mais dans un monde du football aux transferts dérégulés et où l’argent apparait clairement comme la voie du succès, cela n’émeut plus guère…

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A Tourbillon, saison 1998-1999

Années 2000 : un essoufflement contraint

L’épisode du pétard lancé de la Tribune Nord de Tourbillon contre le portier grenat Eric Pédat (18 mars 2001) et un match de Coupe tendu à l’automne 2004 (avec, soit dit en passant, la configuration d’antan : un FC Sion qui se reconstruisait en Challenge League et un SFC regorgeant de grands noms) sont suivis d’une période de cinq ans sans matchs entre les deux équipes. Pour un Servette en proie aux déboires financiers, c’est la fin des abricots… Avec la remontée de Servette en Super League, le bon vieux derby du Rhône a repris du service mais dans une configuration bien différente : Sion est désormais l’équipe à l’assise financière solide recrutant à tour de bras alors que Servette s’efforce, avec les moyens du bord et bien des joueurs formées au club, de sauver sa peau dans l’élite. Il est d’ailleurs piquant d’entendre Christian Constantin proposer ses joueurs surnuméraires au Servette FC alors que lui-même lorgne apparemment régulièrement vers les « stars » des Grenats : Yartey, Kouassi… Curieux retournement de l’Histoire… Par ailleurs, le décalage socio-économique entre les deux cantons n’a plus l’acuité qu’il avait pu avoir autrefois. Dans et autour des stades, les dispositifs sécuritaires sont toujours plus massifs et l’arsenal pénal a été renforcé, n’empêchant toutefois pas des incidents de portées diverses généreusement relatés par les médias.

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Une rivalité folklorique ?

Dans le paysage d’un football romand quelque peu moribond, les derbys du Rhône sont du pain béni pour susciter une passion qui a trop souvent tendance à faire défaut. Toutefois, en contemplant les invectives que s’envoient les deux camps par divers canaux, reprenant, avec plus ou moins d’humour, de sempiternelles antiennes, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle tourne légèrement à vide en l’absence de réelles confrontations sportives à haut enjeu susceptibles de lui fournir un combustible nouveau… Le risque de voir cette rivalité s’évanouir semble toutefois bien minime au vu de la liste des faits et méfaits de chaque camp devenue interminable au fil des ans, avec sa galerie de joueurs qui l’ont incarnée à l’instar de l’inénarrable Stefan Lehmann, portier sédunois au début de la décennie 1990 qui n’avait pas son pareil pour chauffer le kop servettien qui le lui rendait bien volontiers au centuple…

Mais, au-delà de la rivalité soigneusement entretenue, un match entre Sion et Servette est avant tout une promesse de spectacle, souhaitons qu’il en soit ainsi ce samedi !

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek

Dernière chronique : Sous le maillot grenat à croix blanche (5)

La semaine prochaine : maudit pénalty !

Autres chroniques portant sur les rencontres entre Sion et Servette :

naissance du derby avec un sextuplé servettien

quand Servette allait au Tribunal : le cas Perroud

Hommage à Piquet

Decastel et ses pairs laminent les gueux

Le site www.grenats.ch avait également consacré un texte à cette rivalité :

http://www.grenats.ch/servette/index.php?idContenu=dActualite&idArticle=2463

26 réflexions sur « Rivalité quand tu nous tiens… »

  1. Cela fait du bien de replonger dans le passé,cela nous
    fait oublié pour un moment la gabegie qui règne dans
    notre club.
    Merci a Germinal!.

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      1. Non à mon avis vous allez tellement pleurer que t’en aura pas besoin! Allez à Samedi l’ami valesco!

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    1. Le mec est vraiment particulier. Tout cela ne l’a pas dégoûté à reprendre un club. Il se plaint de n’avoir plus d’argent, et envisage de s’offrir un club de foot de D2. Il vit effectivement dans un autre monde, dans une autre réalité, avec d’autres valeurs.

      Il a un profil intéressant… pour porter une réflexion plus profonde. Sur un axe psychologique, mais aussi plus général, de société.

      Comment en arriver là? Toutes les choses qu’il dit ne sont pas des bêtises. Il a totalement raison quand il dit que la plupart des clubs européens fait de la gestion qui serait sanctionnée ici, en Suisse. C’est même totalement vrai.

      Ce milieu du foot est totalement pourri. Le PSG, mais aussi des types comme Leonardo, demeurent écoeurants. Triste que notre société globale laisse ces gens pourris par le fric cultiver cet anti-foot.

      Heureusement qu’il reste la pelouse…

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  2. Toujours aussi prodigieusement écrit. Magnifique. Un régal.

    Tu devrais absolument écrire un livre sur l’Histoire du club!

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      1. Quelle excellente nouvelle!
        Cela aurait été si dommage de ne pas l’immortaliser.
        La bible du Servette FC, assurément!

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  3. Oui, très nostalgique aussi… ceci dit, je crois encore en un réveil héroïque du SFC, qui plus est contre Sion !!! En gros c’est ce weekend qu’on va voir si nos gars en ont…

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