Maudit pénalty !

SFC-YBoys

Il ne reste que deux petites minutes à jouer, Servette mène 1:0 contre Young Boys et est virtuellement champion suisse. Les Bernois pressent. Sur une de leurs ultimes attaques, le ballon vient effleurer la main d’un défenseur grenat. L’arbitre genevois (!) indique le point de pénalty. Tout est à refaire…

C’était il y a plus de 100 ans… le 19 juin 1910 à 15 heures 15, sur la pelouse du Montriond-Sports à Lausanne, débutait le troisième et dernier acte des finales nationales. Dans le groupe romand, Servette, grâce à son attaque prolifique (45 buts en dix matchs) avait remporté sa poule avec huit points d’avance sur son dauphin le Montriond-Sports et ne s’était fait accrocher que par deux formations neuchâteloises : La Chaux-de-Fonds (2:2) et Cantonal (1:4). Dans les autres groupes, le FC Aarau et Young Boys avaient décroché leur sésame pour les finales. Les Argoviens, défaits d’emblée par les Genevois et les Bernois, verront leurs espoirs de décrocher une première couronne nationale s’envoler bien vite. Reste alors à disputer le match Servette –Young Boys, véritable finale du championnat…

Une première mi-temps insipide

Par solidarité romande, l’essentiel des 2’000 personnes accourues dans l’enceinte de la Pontaise était acquis à la cause du Servette FC. Plusieurs centaines de Genevois étaient également présents dans l’espoir de voir leurs favoris décrocher un second titre national, après celui de 1907, pour fêter dignement le 20ème anniversaire du club. La chaleur est accablante. En première mi-temps, une forte bise souffle dans le dos des Bernois, le jeu est de faible facture aucun but n’est marqué malgré de nombreuses entreprises des Jaunes et Noirs.

Une égalisation in extremis

Durant les cinq (!) ou dix (!) minutes (les chronométrages diffèrent) de mi-temps réglementaires, alors que les Bernois se reposent bien tranquillement, les Servettiens se lavent et s’aspergent à grand renfort de siphons, procédé qui va leur être fatal selon un chroniqueur de l’époque qui s’étonne de ne pas les voir consommer une simple orange ! Lorsque le jeu reprend, YB mène toujours la danse puis Servette se ressaisit et domine. Suite à un corner tiré par Schneider, le gardien bernois ne dégage que faiblement et Rochat en profite pour ouvrir la marque en faveur de Servettiens qui croient alors tenir le bon bout à 30 minutes du terme. Les Bernois n’abdiquent pas et campent dans le camp servettien mais le portier servettien Joe Navarro continue de faire preuve d’une grande maestria dans ses interventions. Quelques actions de rupture des Servettiens ne débouchent sur rien tant la ligne d’attaque semble émoussée. C’est finalement une main peu évidente de Schneider II sifflée par l’arbitre international genevois monsieur Dewitte qui sauve les meubles pour Young Boys à une poignée de seconde du terme. Un match de finale ne pouvant accoucher d’un résultat nul, il faut jouer deux prolongations de dix (!) minutes.

Servette s’effondre

Moins athlétiques, visiblement éprouvés par une égalisation qu’ils avaient cessé de redouter, les Servettiens sont copieusement dominés durant la suite des débats. La première prolongation n’est entamée que depuis cinq minutes lorsqu’un puissant shoot bernois heurte la transversale puis crucifie Servette. Incapable de se dépêtrer du marquage bernois, l’attaque servetienne faillit à sa tâche. Young Boys succède au FC Winterthour au palmarès du championnat de suisse, le vainqueur est acclamé par une foule sportive lors de la remise du trophée par le président de l’ASFA monsieur Berthoud. La saison est finie. « Il était temps !» relève un journaliste de l’époque visiblement abattu par la chaleur estivale des hauts de Lausanne !

Un échec évitable

Après leur très belle prestation contre Aarau, les Servettiens semblaient en mesure de ramener la coupe de champion suisse au bout du lac. L’échec lausannois doit beaucoup aux difficultés rencontrées par la ligne d’attaque pour avoir son tranchant habituel. La défense, elle, n’a pas démérité. Petite revue d’effectif, plaisir intemporel, pour des joueurs qui n’évoquent probablement plus grand chose à qui que ce soit, mais dont les destins montrent comment Servette a contribué à irriguer l’équipe nationale et la presse genevoise :

Le gardien :

Joe Navarro : irréprochable tout au long de la partie, le portier grenat n’a pas à rougir des deux buts imparables qu’il a concédés. Portier de la Nati à une reprise, il mettra ensuite sa plume au service des compte-rendu sportifs du Journal de Genève.

Joe Navarro
Joe Navarro, capitaine grenat

Les défenseurs :

Arthur Griffith : ce défenseur Gallois, Servettien depuis le début du siècle, est à gratifier d’un bon match. Excellent dans les épreuves de saut en longueur et de lancer de disque organisées par le Servette FC, il avait fait un crochet par la Bretagne pour se mettre au service du Stade Rennais en tant qu’entraîneur de 1906 à 1909.

Maurice Henneberg : ce joueur très solide tout en étant d’une grande précision pouvait indifféremment étre aligné au milieu de terrain ou en défense (il a joué 6 fois pour la Nati). Pion essentiel dans la conquête du titre de 1907, il sera régulièrement appelé en équipe nationale. Son frère cadet Marcel évoluait également dans la première équipe du Servette FC. Servettien au long cours, il se reconvertit dans la presse et, septuagénaire, il alimentait toujours la Tribune de Genève de ses compte-rendu sportifs.

Les demis :

Jean-Paul Baierlé : ce joueur deux fois international, moins incisif que de coutume, était peut-être intimidé à l’idée d’avoir à affronter ses anciens partenaires…

Thomas : auteur d’un bon match

Francis Jonneret : à gratifier d’une bonne performance, présent lors de la conquête du titre de 1907, il sera fait membre d’honneur à l’occasion du cinquantenaire en 1940.

Les attaquants :

Marcel Renand : la défense bernoise n’avait laissé que bien peu de latitude d’action au grand espoir de l’attaque servetienne dont la performance est restée en-deça des espérances. Il deviendra néanmoins une figure importante du Servette FC dans les années suivantes et avait été le premier grenat à marquer sous les couleurs de l’équipe de Suisse.

Wyder : malgré tout son labeur, il n’avait pu compenser l’effacement de ses partenaires de l’attaque.

Rochat : très travailleur, il avait ouvert le score pour les Grenats

Schneider I : malgré un corner ayant amené le but grenat, son apport fut quelconque.

Schneider II : aussi peu inspiré que son frère, il allait provoquer l’égalisation bernoise par une faute de main.

Les vingt ans du club, les dix ans de présidence du docteur Schwob

Pour les Grenats, le printemps 1910 ne s’était pas résumé à ce regrettable échec final contre les Young Boys. A l’occasion des vingt ans du club (et des dix ans de la section football), un banquet présidé par le Docteur Aimé Schwob s’était tenu au Parc des Sports. Servette comptait alors 290 membres actifs et passifs. Outre les trois équipes de football engagées dans le championnat de suisse à différents niveaux, le club comptait également deux équipes de hockey, une équipe de rugby et différents compétiteurs dans les sports athlétiques. Le championnat régulier n’offrant que 5 matchs à domicile répartis sur toute la saison, les clubs organisaient de fréquentes rencontres amicales. Le FC Zurich était venu à l’occasion des congés pascaux, puis les Allemands du Phönix Karlsruhe et les Anglais des New Portonians avaient les hôtes du parc des Sports. Ce dynamisme du « grand club » genevois devait beaucoup à la personnalité de son président : Aimé Schwob.

1909-10_servette_c
Les Servettiens (maillot uni) et les Karlsruher Phoenix

Un amateur de sport impénitent et un homme de bien

Né en 1864 à Genève, médecin, Aimé Schwob avait plusieurs cordes à son arc. De par son métier, il était convaincu de l’importance de la pratique sportive raisonnée pour la santé, tant physique que mentale, de la jeunesse. Il se passionna pour les sports naissant à cette époque en Europe et contribuera à les populariser en Suisse. Elu président du Bicycle Club de Genève et de l’Union vélocipédique genevoise en 1894, il contribue grandement à l’essor de la petite reine. S’inspirant des groupes de cyclistes étrangers qui s’étaient organisés pour faire développer des réseaux routiers bien entretenus et cartographiés, il est partie prenante de la fondation du Touring Club Suisse en 1896. Il cherche alors à offrir un organe aux fédérations sportives embryonnaires en fondant la Suisse sportive en 1897 avant de contribuer au lancement du premier championnat de Suisse de football en compagnie de François Dégérine. Ce dernier, rugbyman servettien, fait appel à son compère Schwob pour lancer une section de football servettienne. Fort de son expérience (bien qu’il n’ait que 36 ans !), le Docteur prend alors la présidence du Servette FC le 17 janvier 1900, mettant son immense énergie au service du développement du club. Il s’investit parallèlement dans le développement de l’athlétisme et dans le mouvement olympique suisse. Au niveau du football, il participe à la création de l’ACGF ainsi que de la Commission nationale des arbitres. En 1912, ce visionnaire infatigable décline l’offre de poursuivre sa présidence du Servette FC, considérant que le club est désormais doté de solides structures. De nationalité française, il a le malheur de perdre son fils au front durant la guerre de 14-18 et mourra des suites d’une longue maladie en 1926. Il restera dans les esprits comme « un homme de bien », initiateur d’activités caritatives (colonies de vacances, dispensaires), ami des pauvres, médecin qui, outre sa science, prodigue son amitié. Son bail à la barre des Grenats (12 ans) reste le plus long de l’histoire du club.

Pour un portrait plus fouillé du docteur Schwob, nous renvoyons les lecteurs aux deux tomes de l’ “Histoire de la communauté juive de Carouge et de Genève” rédigés par Jean Plançon.

Schwob 1910
Un trio gagnant aux commandes…

Et pour le dessert…

Même si aucun d’entre nous ne peut avoir de souvenirs directs des épisodes narrés ci-dessus, on ne peut s’empêcher de penser qu’en un siècle, le football qu’a vu naitre Aimé Schwob est, dans les grandes lignes, resté le même : une ligne d’attaque qui tousse et c’est toute l’équipe qui s’enrhume, un pénalty discutable, une préparation hors du terrain qui peut faire la différence (les oranges ou les seaux d’eau ?), des équipes étrangères invitées pour remplir les caisses… Par contre, grande fut notre surprise en parcourant la presse de l’époque de découvrir que Servette était alors également le nom d’un fromage !

servette fromage

Jacky Pasteur et Germinal Walaschek

Dernière chronique : rivalité quand tu nous tiens…

La semaine prochaine : Eric Pédat, un Grenat chez les Brodeurs

Autres chroniques concernant les matchs contre YB :

Servette-YB : Brechbühl blesse Pfister

L’adieu aux Charmilles

https://enfantsduservette.ch/2011/11/02/allez-voir-servette-young-boys-et-trouvez-y-votre-ame-soeur-sans-crainte-que-mustapha-ne-gache-votre-nuit-de-noces/

https://enfantsduservette.ch/2012/02/02/ces-trois-minutes-hitchcockiennes-apres-young-boys-servette/

12 réflexions sur « Maudit pénalty ! »

  1. magnifique rétrospective !!!
    mais ce week end faut gagner…verra-t-on enfin
    Moubandje à son poste ?
    Rüfli à son poste à droite ?
    Diallo à son poste ?
    ou Fournier nous ressortira-t-il à la fin du match (nul)
    que son équipe à bien joué, à dominé mais que hélas c’est pas chance….match nul.

    J’aime

  2. Quel travail titanesque. Chaque semaine je dois me pincer en lisant cette chronique. C est tellement beau et bien fait.

    Il est a espèrer que les responsables du club tombe sur ces articles ils verraient à quel point notre Germinal est précieux et enrichis ainsi le site des EdS.

    Bravo Germinal quel belle chronique!

    J’aime

  3. Deux coups de chapeau,tout d’abord a l’ami Germinal,toujours
    passionnante cette plongée dans l’histoire de notre club.
    Et un autre HS je viens de voir Tottenham-Bâle,un superbe
    matche de Bâle,je les aime pas trop.c’est le Fc Asf,mais
    elle est vraiment étonnante cette équipe,elle fait honneur
    au foot suisse.

    J’aime

      1. Perso je pense simplement que Bale se met au niveau et que cela n’a rien a voir avec le foot suisse.

        La motivation n’est pas la même quand tu joues a Tourbillon ou à Tottenham. ;))

        J’aime

  4. Génial Germinal, quel plaisir de vous lire. Continuez !Merci.
    Dimanche, tous à Berne pour soutenir nos ptits « fromages ».
    On va gagner, ON EST LES MEILLEURS OU BIEN !
    Hop Servette

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.