La discographie servettienne s’est récemment enrichie d’un nouvel opus grâce à Madness Project. Leur chanson est à ajouter sur une liste où figure un morceau du début des années 1980 dans lequel un monument de la scène musicale genevoise, – le Beau lac de Bâle-, évoquait le Servette FC et ses mythiques Charmilles : le supporter.

Amour et football
Dans le supporter, le fantasque parolier John Cipolata narre les péripéties footballistico-amoureuse d’un mordu de Servette, toujours au bord de la crise de nerfs lorsqu’il va voir jouer son club chéri aux Charmilles. Sa grande manie est de hurler « Dégage ! Fous-moi ce ballon dans le cimetière ! » lorsque les grenats jouent avec le feu, tel Decastel qui « pétouille dans les seize mètres ». Lors de Servette-YB, alors que s’ébauche un flirt poussé avec une charmante créature rencontrée sur les gradins, c’est Schnyder qui provoque les transes de notre supporter cardiaque et leur premier baiser est interrompu par un retentissant « dégage ! » proféré à l’attention de l’infatigable numéro 2 grenat… L’histoire ne s’arrête toutefois pas en si bon chemin et nos deux tourtereaux se disent oui devant le maire deux semaines plus tard. La nuit de noces s’annonce bien mais c’était sans compter le virus du football : à l’instant suprême, à cause de Mustapha, le jeune marié qui vient d’allumer la télé, hurle tout électrisé : « dégage… ».
Decastel, Schnyder, Mustapha, Young Boys : élémentaire mon cher Watson !
Mais de quel Servette-Young Boys le Beau lac de Bâle se fait-il ainsi l’écho ? La chanson le supporter figure dans l’album « Phonorrhée du diable » sorti en 1982. Sachant que Mustapha a joué pour Servette seulement de 1980 à 1983, nous pouvons limiter notre enquête à cette période-là (Pour le seul Schnyder, il aurait fallu envisager une période bien plus longue !).
13 septembre 1980 ?
Première hypothèse : Servette-Young Boys du 13 septembre 1980. Rien de bien romantique pour cette rencontre : les Bernois l’emportent 1:4. Coutumiers de la manière brutale ces années-là, les jaunes et noirs déclenchent divers jets de bouteille lorsque leur gardien Eichenberger agresse le Servettien Dutoit en fin de rencontre. Mais la rancoeur des 5500 spectateurs des Charmilles est plus profonde : Servette, qui s’était maintenu au sommet durant des années, avait été saigné durant l’été (départs d’Engel, Trinchero, Hamberg, Barberis, Andrey…) et ne tient plus son rang avec trois points en quatre matchs… Détail d’importance : Schnyder ne jouait pas ces jour-là et de toute façon Decastel était encore au RC Strasbourg : hypothèse invalidée !
7 novembre 1981 ?
Changement de décor : Servette a un nouveau président (Carlo Lavizzari) et de nouveaux joueurs pour donner corps à ses ambitions Favre, Geiger, Decastel (tiens ! tiens !) … Les Grenats caracolent en tête de la LNA avec 10 victoires en autant de rencontres (mais ils viennent de se faire éliminer en coupe : latitude 46° 13’N, longitude 7° 22’E). Ils ajouteront un onzième succès en disposant de Young Boys sur le score affriolant de 4:1. Dans le froid qui l’avait poussé à revêtir d’élégants gants noirs, le Marocain Mustapha a marqué deux fois. Avec 8 500 personnes présentes, la soirée est déjà plus glamour ; elle devait aussi à quelque part être bénie des dieux car l’arbitre a quasiment décidé le match en faveur de Servette en expulsant le Bernois Arm à la 55ème minute (1:1 au moment des faits). Ce dernier persistait en effet à se tenir à 8 mètres 50 du ballon lors d’un corner servettien alors que le règlement stipule 50 cm de plus… Pour la petite histoire, l’homme en noir n’était autre qu’André Daina, une vieille gloire servettienne des années 1960, mais il n’avantagera pas systématiquement ses anciennes couleurs, Jara et Grasshoppers peuvent en témoigner… Toujours est-il que Schnyder a joué ce soir-là, ce fut même lui qui scella le score final à la 87ème minute… Hypothèse validable donc !
- L’international Marocain Yaghcha Mustapha, lors de Servette-YB, 7.11.1981
3ème hypothèse : 19 mai 1983
Le troisième et dernier Servette-Young Boys de l’ère Mustapha a eu lieu le 19 mai 1983. Victoire 3:0 (triplé de Brigger) des Grenats face à des Bernois lamentables, incapables d’aligner deux passes et fidèles à leur réputation de matraqueurs de tibias. Grâce à cette victoire, Servette restait en tête à égalité avec Grasshoppers à cinq journées de la fin. Mais l’album du BLB était déjà sorti et Schnyder n’a pas joué ce soir-là… Un faisceau d’indices concordants nous incite donc à fixer au 7 novembre 1981 le mythique épisode footballistico-amoureux de la chanson le supporter !
Et ce mariage alors ?
«Deux semaines après le match, nous étions mariés» nous apprend Cipolata. Dans l’intervalle, Servette a perdu son invincibilité en championnat contre Zurich (2:1 au Letzigrund) mais reste leader. Des centaines de milliers de personnes défilent à Amsterdam contre le déploiement de fusées à moyenne portée par l’OTAN, l’URSS, opportuniste, annonce une amorce de débordement, le yen japonais s’apprécie fortement… En Suisse, Servette affronte Nordstern (petit rappel : la LNA comptait alors 16 équipes et deux équipes bâloises y figuraient). Après s’être juré fidélité, les deux époux rentrent dans leur nid douillet, mais, n’y tenant plus, le supporter allume la télé (notre intime conviction : 22 heures 20, sports sur la Romande) et ruine ainsi sa nuit de noces. On peut toutefois se demander ce que le pauvre Mustapha a bien pu faire pour susciter une telle nervosité : à la demie heure de jeu, la cause était en effet déjà entendue (doublé d’Elia) et la perle noire marocaine marqua même le quatrième et dernier but servettien de cette promenade de santé à la 48ème minute…

Que sont-ils devenus ?
Si notre hypothèse est juste, nos deux chers et tendres vont donc célébrer leurs noces de perle ce mois-ci ! Sachant qu’un des tubes de l’album Phonorrhée du diable s’intitulait « faites des enfants » on espère que leur nombreuse descendance garnit les gradins de la Praille, à moins que le pauvre supporter n’ait dû aller promener le chien…
Decastel, celui qui pétouillait dans les seize mètres, entraîne avec succès le Wydad de Casablanca qui disputer cette semaine le match aller de la finale de la Ligue des Champions africaine contre l’Espérance de Tunis, Yaghcha Mustapha, longtemps arbitre bénévole pour l’ACGF, vient d’envoyer sa candidature pour le poste d’entraîneur de l’AS FAR (Maroc) et l’implication de Marc Schnyder dans la fondation du Stade de Genève est connue. Quant au Beau lac de Bâle, il sera en concert vendredi 9 décembre 2011 à la Brasserie des artisans, route des Jeunes 5d, dès 21h30, entrée libre, si vous voulez dîner (dès 19h30), il est recommandé de réserver votre table…

Une dernière coïncidence
Le beau Lac de Bâle est un produit de la mouvance alternative genevoise de la seconde moitié des années 70, c’est d’ailleurs à l’occasion d’une fête militante contre la dictature chilienne que le groupe (alors nommé Plexus) passe un peu par hasard au gros rock qui tâche qui sera ensuite sa marque de fabrique. Le nom Beau lac de Bâle est sorti du cerveau de Pierre Losio (batteur du groupe qu’il quittera peu après). Ce dernier n’est autre que le fils de… Germinal Losio, champion suisse avec Servette 1934 et spécialiste des corners directs pour s’en tenir à sa seule carrière sportive ! Le Beau lac de Bâle sera le premier groupe genevois à enregistrer un album (par l’intermédiaire d’Alain Morisod). Malgré quelques passages sur les ondes des radios françaises, le groupe ne fera pas une carrière internationale et d’ailleurs sans doute ne le souhaitait-il pas… Ses textes, nourris de la réalité helvétique, ainsi que son jeu de scène, continueront par contre d’enchanter le public genevois et romand. La liste de leurs concerts est une véritable chronique de 30 ans d’actualité (campagne anti-SIDA, votation sur l’abolition de l’armée, 700 ème anniversaire de la Confédération, Eurofoot…)
Allez, on (ré)écoute le supporter
Jacky Pasteur et Germinal Walaschek
– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –
La semaine prochaine : Le plus vieux fan’s club de Suisse encore existant : les 25 ans du „Servette Fanclub Deutschschweiz `86“
La dernière chronique : Servette ↔ Xamax : éléphants et jeunes loups
Ouaahh, quelle histoire, beau boulot, Bravo
les eds.
J’aimeJ’aime
J’adore vos articles historiques. Merci!
J’aimeJ’aime
Sympa comme histoire 🙂
Merci!
J’aimeJ’aime
magnifique
J’aimeJ’aime
trop trop bon, j’avais oublié tout ça!! merci!
J’aimeJ’aime
Grandiose! Merci Germinal pour ce grand moment!!!!
J’aimeJ’aime
Super, je me suis vraiment marré en lisant ton article ! Génial !
J’aimeJ’aime
felicitations et merci
J’aimeJ’aime
je me rappelle du match 1-4 contre YB aux Charmilles en 80 (mon 2ème match du SFC en absolu) avec bagarre de supporters en Tribune B à quelques mètres de nous. Les fans de YB étaient des types un peu platzspitz. je me souviens aussi du piètre match des notres et de Mustapha en particulier.
J’aimeJ’aime
Oui, la saison avait été calamiteuse (élimination de la coupe à Martigny…) mais Mustapha était encore un des rares nouveaux à avoir pu parfois présenter quelque chose.
J’aimeJ’aime